Quelques jours s'étaient écoulés depuis les aveux des quatre amis sur la plage. Le temps avait commencé à effacer les peines, et tous se détournaient des événements d'Ewilem, ou plutôt s'y forçaient. La vie à Varkens semblait si belle.
Aaron séjournait chez Kale. Les deux compagnons dormaient soit à l'intérieur, soit sur la terrasse face à la mer, discutant jusqu'au bout de la nuit de tout et de rien. Ils s'ouvraient davantage l'un à l'autre et leur lien se renforçait. Aaron sortait de la coquille de nonchalance apparente qu'il avait construite en tant d'années d'errance et Kale goûtait de nouveau à la présence d'un ami.
Lyanna avait sa propre maison vers le port, mais elle ne ratait jamais une journée pour aller rejoindre les deux garçons, sur la plage ou sur les falaises. Elle ajoutait un peu d'équilibre dans ce groupe de cœurs brisés grâce à sa raison et sa justesse lors de leurs soirées tardives.
Quant à Callisto, elle dormait à l'auberge et travaillait à la taverne tous les soirs avec son violon. Ses trois amis venaient toujours la voir, et si possible lui fichaient la honte sur scène en la couvrant de mots d'amour. Elle les enguirlandait à chaque fois, distribuait des paires de claques à l'arrière de leurs têtes, mais son affection pour eux grandissait de jour en jour.
Trois d'entre eux avaient oublié ce qu'était une famille. Ils en avaient enfin retrouvé une.
***
Ce soir-là, alors que le soleil rencontrait l'horizon, Callisto sortit son instrument de son étui. Les teintes orangées du ciel se reflétaient sur les maisons claires de Varkens, couvrant d'or la silhouette de la musicienne. Mais pour l'heure, sa scène n'était autre que la terrasse de Kale, et son public les vagues de l'océan. Son violon en main, elle prit place sur un muret. Trois paires d'yeux se braquèrent instantanément sur elle.
Kale et Aaron, installés plus loin sur une petite table, laissèrent tomber leur partie de cartes. Lyanna, vautrée dans des coussins, posa son livre. Tous les trois levèrent vers la musicienne des visages impatients. Elle les toisa un par un, puis, avec satisfaction, sortit de sa poche une bouteille d'huile de lin. Des sifflements de protestations s'élevèrent vers le ciel.
Tandis que les trois autres retournaient avec humeur à leurs occupations, Callisto s'empara d'un chiffon en dépit de son archet. Avec un soupir satisfait, elle passa doucement l'onguent sur le bois du précieux instrument. Les voyant tous les trois boudeurs, elle s'exclama :
« Tous les soirs vous me foutez là honte et vous en redemandez encore ? »
Aaron pesta contre Kale qui avait expédié son jeu d'un tour de carte. Le vainqueur croisa les bras et toisa Callisto avec effronterie.
« Je suis jaloux, Salomon a eu le droit à un concert privé. Et je suis beaucoup plus sympa que lui, il me semble. »
Les trois autres se figèrent, l'air effaré. Lyanna en perdit sa page. Devant le malaise palpable, la bouche de Kale se tordit d'un rictus gêné. Puis brutalement, ils éclatèrent tous de rire.
« Au moins aussi arrogant, ajouta Aaron.
- Appelle-là ma douceur des îles qu'on rigole. » S'esclaffa Lyanna.
Il n'en fallut pas plus à Kale. Il sauta sur ses pieds et, la bouche en cœur, s'approcha sournoisement de Callisto.
« Ô ma douce, m...
- Ferme ton gosier ! » Beugla l'intéressée.
Le chiffon huileux s'écrasa sur le visage de Kale. Il retourna à ses cartes, piteu, sous les railleries de ses amis.
Son entretien achevé, Callisto contempla son instrument. Ses amis feignirent de l'ignorer, mais cette fois-ci, elle saisit son archer. Lorsque les crins frottèrent la corde la plus grave, le soleil avait plongé dans l'océan.
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Legend of Shapeshifters (T1)
Ficção CientíficaDans un monde où l'Humanité a disparu, de nouveaux êtres se battent pour survivre. Ce sont les changeurs, métamorphes rassemblés en société primaire où formes humaines et animales se côtoient, s'aiment comme se haïssent. En l'an 53 après la grande t...