3 - Rapports larvaires

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Notes de l'auteur : Avertissement de contenu - Kaecilius a une vision "classiste" de son monde (= supériorité inhérente de certaines classes sociales). Cette vision est partagée par l'ensemble de la société serienne, qui accorde beaucoup d'importance au "statut" de chaque individu.
Toutefois, son mépris absolu des esclaves (en particulier) lui est davantage spécifique. L'esclavage est, aux yeux des Seriens, un état temporaire (qui peut durer tout une vie, il est vrai), mais n'est en rien une marque ontologique, un signe de l'infériorité de la personne. Il s'agit d'une absence de libertés qui peut être due aux circonstances de la naissance, à un contrat (concubinage) ou à une décision de justice (endettement, etc.). De nombreux esclaves finissent par recouvrer leurs libertés et, avec de la chance, peuvent considérablement s'enrichir, parfois davantage que leurs anciens maîtres, dont ils restent dans l'entourage.



Deuxième rouleau de Kaecilius


Le jour se levait à peine que j'avais déjà quitté Fleur-Eclose. Le démon avait pris la fuite durant la nuit, certainement pour aller retrouver au plus vite Sophia Domitillia et l'informer des ordres de l'Empereur. Nul doute que les deux étaient complices.

Qu'ils aillent au corbeau !

Si la vie de ma mère n'avait pas été menacée, j'aurais tourné le dos à toute cette affaire et me serais retiré à Brise-Vive pour poursuivre mes études de la Voie Vertueuse. Je me serais tenu le plus éloigné possible de cet agaçant esclave, de sa maîtresse et des sordides manigances de mon oncle. Je me serais retiré du monde, heureux de demeurer célibataire pour quelques années de plus. J'aurais eu la paix.

Mais la Fortune en avait décidé autrement. Je suivais donc la trace du Démon blanc, qui semblait n'avoir fait aucun effort pour passer inaperçu. Il avait pris la route qui menait à Alba, notre capitale, et semblait avoir salué chaque paysan qu'il avait rencontré. Il avait même pris le temps, en échange d'un godet d'eau-de-vie de qualité médiocre, d'installer autour de plusieurs sillons des protections contre le mauvais œil.

Mais pour qui se prend-il ? Un saint homme ? Quel fou !

Qu'il puisse gaspiller ainsi son spiritus me dépassait. Les Vertueux n'utilisaient leurs forces que pour accomplir de hauts faits. Protéger la terre d'un paysan sans le sou pour lui assurer une récolte convenable, c'était rouler notre Art dans la boue.

De toute manière, un esclave n'a aucun sens des convenances. Il faut les lui inculquer à coup de férule.

Dans le silence froid du matin, je repensai aux paroles de mon oncle. Même si je doutais encore de la puissance mythique du Démon blanc, mon examen superficiel des protections qu'il avait érigées m'avait forcé à reconsidérer la situation : ses connaissances vertueuses étaient approfondies. Cela n'aurait dû surprendre personne. N'avait-il pas vécu dans l'ombre des meilleurs Vertueux du clan des Domitillii durant deux siècles ? Même un esclave sans véritable pouvoir aurait fini par apprendre quelques tours.

Tu laisses un nuage d'émotion opacifier tes pensées, Kae. Il n'a pas été pas surnommé le « Démon blanc » à cause de sa seule apparence.

Quand j'étais petit, mes nourrices avaient l'habitude de me raconter des histoires au moment de me mettre au lit. Quand j'avais été tout particulièrement agité ce jour-là, ou si je refusais de dormir, elles me menaçaient en affirmant que le Démon blanc viendrait m'enlever à l'heure la plus noire de la nuit. Elles faisaient référence à une crainte populaire née lors des Guerres de l'Entaille, nom donné à l'invasion barbare qui avait déferlé sur le territoire serien. Si mon peuple avait courageusement repoussé l'envahisseur, la République moribonde n'avait pas survécu et ma famille en avait profité pour saisir le pouvoir. Les prisonniers de guerre étaient devenus des esclaves, quand ils n'avaient pas été publiquement exécutés pour le plus grand bonheur des foules. Nouvellement privés du pouvoir politique, de nombreux citoyens, issus des clans les plus éminents, avaient décidé de consacrer leur existence à l'étude et à la pratique de la Voie Vertueuse. Si, jusqu'alors, tout le monde avait pu s'intéresser à cet Art, la noblesse avait fini par se l'approprier tout entier. Les différents Empereurs avaient facilité cet état de fait, interdisant à ceux qui ne faisaient pas partie des plus grands clans de devenir Vertueux.

Le démon blanc de Fleur-Éclose (ép. 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant