9 - Un bateau en pleine tempête

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Cinquième rouleau de Kaecilius


Pour penser le plus clairement possible, je m'efforçai de respirer avec calme, comme me l'avait appris Annaeus au début de mon apprentissage. Ma sœur faisait les cent pas non loin du lit sur lequel nous avions couché le Démon blanc, toujours inconscient. Nous avions allumé de nombreuses chandelles afin de mieux voir. Son état était des plus inquiétants. Je craignais qu'il ne vît pas le soleil se lever.

« Le mieux est de retirer ton glaive », annonça Silvia, le doigt enroulé autour d'une longue mèche. Il s'agissait d'une habitude qu'elle avait prise lorsqu'elle réfléchissait. « C'est toi qui essaieras ensuite d'arrêter l'hémorragie. Il est hors de question que je touche sa blessure. As-tu vu la couleur de son sang ? »

Elle frissonna ostensiblement.

« Et si je n'arrive pas à le sauver ?

— Eh bien, il mourra, répondit-elle, comme s'il s'agissait d'une évidence. Je ne vais pas courir le risque d'être découverte pour sauver un esclave.

— Il s'agit du Démon blanc ! Ce n'est pas un simple esclave.

— Un esclave reste un esclave, Kae. Ne sois pas sentimental. Ce n'est pas ainsi que nos parents nous ont élevés. »

Je relevai la tête pour mieux la regarder. Elle n'avait pas changé. Nous partagions la même froideur, le même refus de la compassion. Nous avions appris à ne rien laisser paraître, si bien qu'il nous arrivait parfois de ne plus rien ressentir. Avais-je semblé aussi implacable dans mes échanges avec Lao ? Aussi cruel ? Ma sœur était comme un miroir que la Fortune me tendait. Je n'étais pas certain d'aimer le reflet que j'y découvrais.

« Un esclave est aussi un être humain », répondis-je, me souvenant de la leçon que Lao m'avait administrée plus tôt dans la soirée.

L'ironie de la situation laissa un goût amer dans ma bouche. Pendant ce temps, ma sœur s'agitait. Ses pas se faisaient plus rapides, ses gestes plus larges.

« Par les Dieux protecteurs de la maisonnée impériale, Kaecilius ! C'est un démon ! Je ne sais pas ce qu'il est, mais avec ce liquide de vermillon et d'or qui sort de sa blessure, je suis certaine qu'il n'est pas comme nous. Ma vie est quand même plus importante que la sienne, n'est-ce pas ? »

Elle s'approcha de moi, les sourcils froncés, puis laissa échapper un long soupir quand elle comprit que mon silence ne lui donnait ni tort ni raison. D'un ton plus calme, elle reprit la parole :

« Je sais que notre séparation s'est faite dans la douleur.

— Tu m'as abandonné...

— Tu as refusé de me suivre !

— C'est toujours la même histoire avec toi. Tu te moques de ma volonté ; je dois suivre la tienne.

— Tu es mon petit frère.

— Nous sommes jumeaux, Silvia. Nous avons le même âge.

— Je t'ai toujours considéré comme mon petit frère.

— Eh bien, cela ne t'a pas empêché de m'abandonner. »

Elle replia ses bras contre sa poitrine et m'observa un moment sans mot dire. Je me levai lentement du tabouret sur lequel je m'étais assis pour réfléchir. Tout en maintenant mon regard au sol, je lui dis :

« Annaeus doit être dans sa villa de Beau-Regard. Si je pars maintenant, je peux être de retour dans moins d'une heure. Prends soin du blessé en attendant. Ton petit frère te le demande. Quand nous serons de retour, cache-toi dans une pièce annexe, si tu ne fais pas confiance à celui qui a été le précepteur de notre père avant d'être le mien. »

Le démon blanc de Fleur-Éclose (ép. 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant