7 - La villa abandonnée

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Quatrième rouleau de Kaecilius


À la dérobée, je regardai le démon blanc, dont je devinai la silhouette à mes côtés. Son corps se fondait dans la nuit qui nous enveloppait. Je me souvenais de lanternes devant la villa de ma famille, mais aucune ne semblait avoir été allumée. Nous étions seuls, ou du moins, c'était ce que j'espérais.

Concentre-toi, Kaecilius.

Quelques minutes plus tôt, j'avais eu ma première algarade avec un esclave. La tension n'avait toujours pas quitté mes muscles, et l'agacement revenait m'irriter par vagues. Je ne parvenais pas à croire que je l'avais supplié de m'accompagner ici. Pourquoi ne pas l'avoir laissé dans les rues ?

Fichu démon. Vouloir dormir dans un jardin public, comme un vulgaire chien errant. Aucun sens des convenances. Si Sophia Domitillia savait cela, elle aurait honte.

Heureusement que le Fils du Ciel finirait par le récupérer. Cette journée m'avait convaincu qu'il me serait impossible de vivre avec lui sous un même toit. C'était déjà bien assez que je me marie.

Je n'ai pas besoin d'une créature servile pour me narguer au quotidien.

Celui-ci se mit à chantonner :

« Trois petits bambins dans le noir... »

Je sentis l'air nocturne se cristalliser autour de nous, comme si les paroles du démon l'avaient soudainement chargé d'énergie. Je réprimai un frisson.

« Tais-toi, sifflai-je. Tu vas nous faire repérer.

— Au contraire, je m'assure que personne ne nous remarque. »

Je tentai de le faire taire, mais il s'écarta de moi, comme un chat qui se refuse à une caresse, et je ne parvins plus à distinguer sa silhouette. Il était à côté de moi, je le sentais, mais je n'aurais su dire où avec exactitude. Il poursuivit sa chanson, qui aurait tout aussi bien pu être une incantation ou un sort.

« ... Le ventre creux, la bouche sèche... »

Le plus simple est encore de l'ignorer.

Très vite, nous arrivâmes devant la porte d'entrée que je trouvai scellée comme prévu. L'esclave qui gardait la villa devait utiliser celle qui était dissimulée au fond du jardin pour aller et venir. Si ma mémoire n'était pas défaillante, elle se trouvait à quelques rues d'ici. Je partis donc dans cette direction, les murmures de Lao me suivant. Je n'aurais pas été surpris qu'il fût capable de voir dans la nuit.

Mes souvenirs de jeunesse guidèrent mes pas comme nous avancions dans la nuit d'encre. Après quelques tâtonnements, je parvins à trouver cette vieille porte en bois, que dissimulaient les branches maigres d'un figuier.

Le silence nous entourait enfin. Mon acolyte venait de terminer sa chanson sinistre ; les trois bambins dans le noir avaient connu une fin tragique. Avec un peu de chance, ce ne serait pas notre cas.

« Ému de rentrer à la maison ? me souffla-t-il.

— Tais-toi et fais attention à la marche. »

Je poussai la porte qui se mit à pivoter lentement sur ses gonds.

Je m'étais attendu à devoir utiliser la clé que je gardais toujours sur moi, comme un porte-bonheur, ou le souvenir de jours plus heureux. Mais il n'en fut rien : elle n'était pas verrouillée.

« Cet esclave n'a qu'une seule tâche, garder cette porte, mais il n'est même pas capable de la mener à bien, pestai-je.

— Et voilà, c'est encore la faute aux esclaves. Nous sommes responsables de tous les maux du monde. »

Le démon blanc de Fleur-Éclose (ép. 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant