8 - Le coup de glaive

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Le dit de Lao (quatrième veillée)

Ami, si tu veux un exemple de l'ingratitude de notre prince, écoute donc la suite de mon récit.

Après que j'eus tué la vilaine créature qui s'abreuvait à la gorge de cet esclave malchanceux, qui était aussi mort que les ancêtres de ma douce Tillia, Kaecilius perdit l'esprit. Il poussa un cri de douleur, puis, profitant de ma confusion, me déroba le glaive que je lui avais dérobé. Tout en m'accusant d'avoir tué sa sœur, il essaya de me transpercer de sa lame, comme si je n'étais qu'un vulgaire démon. Perdant le peu de patience dont je disposais après une journée entière passée sur les routes, et craignant qu'il n'ameute tout le quartier avec ses cris de pleureuse professionnelle, je fus réduit à la dernière extrémité : j'attaquai Son Altesse impériale le Prince Vertueux Kaecilius Hostilianus.

Ou plutôt, je l'empêchai de me nuire.

Mon index et mon majeur frappèrent quelques points stratégiques de son anatomie. Je bloquai le flux de son spiritus dans son bras, si bien que son glaive tomba au sol non loin du cadavre de celle qu'il croyait être sa sœur. Je fis de même avec sa gorge ; Kaecilius fut réduit au silence. Quand il prit conscience de ce que je venais de faire, et avec quelle facilité, ses yeux s'écarquillèrent de peur.

« Si tu fais mine de m'attaquer à nouveau, ce n'est pas ton bras que je vais neutraliser », le menaçai-je.

Mis hors de lui par mon sous-entendu, il essaya de protester, mais ne put émettre aucun son. Je grimaçai, me demandant si, dans ma précipitation, je n'avais pas appuyé un peu trop fort au point de compromettre la circulation pérenne de son spiritus.

« Ne t'inquiète pas. L'usage de ton bras devrait te revenir rapidement. De même que ta voix... »

Je fis une pause, hésitant.

« Pour la voix, peut-être que ça mettra plus longtemps, mais ne t'inquiète pas. Ce n'est pas permanent... Enfin, je crois », fis-je, avec mon sourire le plus rassurant.

Ce soir-là, j'appris que Kaecilius savait être très expressif quand il le voulait. Je fus agoni d'injures silencieuses. Sa colère irradiait tellement que les rayons de la lune palissaient en comparaison. Il voulut me frapper de son bras valide, mais je retournai l'énergie de son mouvement contre lui et le fit tomber au sol. Pour qu'il arrête de s'agiter, je dus m'asseoir sur son dos.

Me penchant au-dessus de son oreille, je lui murmurai :

« Du calme, mon Prince. Tout ceci n'est qu'un malentendu. C'était de la légitime défense. Pendant un bref moment, tu as voulu ma mort. Je me suis assuré de survivre assez longtemps pour te convaincre que tu commettais une erreur. Ne m'oblige pas à te paralyser entièrement. Je trouve très déplaisant de perturber le spiritus d'autrui. Toi aussi ? L'expérience n'est pas agréable ? Cela ne me surprend guère. D'ailleurs, la première fois que j'en ai été moi-même la victime, je dois avouer que... »

Mes yeux se posèrent sur les cadavres qui nous entouraient. Je m'arrêtai de parler. Ce n'était ni le lieu ni le moment de partager avec lui un souvenir de ma jeunesse.

Cela ne faisait que quelques minutes à peine qu'elle avait été tuée, mais déjà la lamie commençait à retrouver son visage infernal. Chez les membres de son espèce, l'illusion pouvait demeurer plusieurs heures après la mort. Le specimen que j'avais devant les yeux avait dû être jeune – ou d'une puissance limitée. Était-elle seulement adulte ? Ses jambes fusionnaient de nouveau en une queue reptilienne, et la lumière pâle de l'orbe au-dessus de mon épaule faisait luire des écailles qui semblaient repousser à même son derme. Tout ceci n'était qu'une illusion. À aucun moment, la créature ne s'était départie de son corps de vipère.

Le démon blanc de Fleur-Éclose (ép. 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant