Chapitre 1

1 0 0
                                    

Le 3 janvier, c'est la rentrée. Titulaire de mon diplôme d'école normale, je passe en école supérieure. Quatorze ans coincée derrière un bureau, c'était long, mais ce n'est pas encore fini, non. Me voilà, du haut de mes vingt ans, parmi les rares personnes qui font des études après le lycée. La plupart d'entre eux veut devenir chercheur, médecin ou enseignant. Dans mon cas, je veux devenir enseignante en physique-chimie. C'est un domaine qui m'a toujours plu et dans lequel je suis particulièrement à l'aise. J'ai été prise dans une très bonne école préparatoire et je n'habite pas loin alors je suis très contente. En même temps, ça n’a étonné personne, je suis une bonne élève, même si je n’ai pas sauté de classe. Je n’en ai pas redoublé, toujours une bonne moyenne, une attitude en classe de bonne élève, en somme. Cette année, je vais étudier la physique-chimie, bien évidemment, mais aussi les mathématiques qui sont fondamentales en sciences, le français et l'anglais, qui est la langue la plus utilisée de nos jours et très utile dans les sciences actuelles. J'en ai pour trois ans avant le concours qui me permettra d'entrer dans une école plus ou moins prestigieuse spécialisée dans l'enseignement. Bien sûr, je vise la meilleure possible : l'école supérieure d'enseignement des sciences à Paris.

Je prépare mon sac de cours. Ils ne commenceront qu'à partir de demain mais je préfère être déjà prête. J'ai fait quelques dessins dessus et j'y ai accroché des badges. Ma mère m'aurait certainement dit que ça ne sert à rien mais je n'habite plus avec elle depuis que je suis rentrée au lycée. Elle avait besoin de déménager pour son travail et il fallait que je reste pour être assez proche de mon école. Alors elle m'a laissé l'appartement et paye mes factures. Pour le reste, je me débrouille. Je travaille un peu pour m'acheter ce dont j'ai besoin et, si j'ai du mal, ma mère m'envoie de l'argent. Son travail paye bien, alors ce n'est pas un problème pour elle.

Enfin bref. Me voila donc partie pour aller en cours. Je vais à l'école en roller avec de la musique dans les oreilles, je passe sur la piste cyclable pour ne pas gêner les piétons et éviter de me faire renverser par les voitures. Une fois arrivée, je décroche simplement les roues de mes basquettes et je les range dans mon sac, ça prend un peu de place mais tant pis. La cheffe d'établissement nous fait un "petit" briefing afin de nous expliquer comment se déroulerait l'année puis nous sommes appelés par classes. Je suis en PPC1-2, c'est-à-dire préparatoire physique-chimie première année classe numéro deux, mais ça va beaucoup plus vite avec seulement les initiales. Il y a quatre classes de première année et autant de deuxième et de troisième. Il y a aussi le cursus de spécialisation de sciences pour les futurs chercheurs ou médecins, notre école n'en accueille qu'une classe par an.

Notre professeur principal est celui de mathématiques. C'est un homme grand, musclé, avec des cheveux gris, très courts, un long visage et des yeux d'un bleu assez marqué. Il porte un jean et une veste en cuir sombre. Je lui donne bien quarante-cinq ou cinquante ans. Une fois arrivé dans la classe, il commence par se présenter.
-Bonjour. Mon nom est Monsieur Hartat et je serai votre professeur de mathématiques pendant ces trois prochaines années. Vos autres professeurs vont passer pendant qu'on vous distribue vos papiers
et cartes d'étudiant.
À ces derniers mots il s'empare du petit paquet de cartes en plastique posées sur son bureau. Il enlève l'élastique et commence à appeler les élèves par leurs noms de famille. Avec un nom comme Ganaann, je ne suis pas dans les derniers appelés mais pas non plus dans les premiers.
-Salut ! C'est Ganaann ton nom ?
Je me tourne vers mon voisin. Il est plutôt petit, ses cheveux noirs sont longs et raides et il arbore un sourire gêné surmonté d'une petite moustache d'adolescent.
-Jade. Et toi ?
Il faut dire que ce nom me va bien, mes yeux ont une couleur semblable, alors j'en suis plutôt fière. Mes cheveux d'un blond foncé et ma peau claire pourraient presque faire penser à des origines nordiques mais, après tout, je n'en sais rien car je ne connais pas mon père. Ma coupe à la garçonne et le fait que je ne porte que des jeans me vaut souvent l'appellation de "garçon manqué", mais je m'en fiche.
-Grégoire.
-Toi aussi, tu veux devenir prof, m’enquis-je, enthousiaste ?
-En fait, je ne sais pas trop encore. Ce qui est sûr c'est que je veux faire des sciences. Du coup, on verra bien.

On nous distribue nos emplois du temps. Nous allons avoir douze heures de maths et autant de physique-chimie par semaine ainsi que quatre heures de français et d'anglais. Et ça, c'est sans compter les heures de devoirs sur table ! Je relève la tête, Monsieur Hartat regarde sa montre. Il nous présente ensuite rapidement le programme de l'année ainsi que quelques généralités sur la classe préparatoire qui est bien différente de l'école normale, surtout en terme de quantité de travail. Il regarde encore sa montre, il doit attendre quelque chose, ou bien quelqu'un. Je devais avoir raison car, à peine quelques secondes plus tard, on frappe à la porte. C'est une petite femme qui entre, et je dis petite car, malgré ses hauts talons, la plupart des élèves de la classe doivent la dépasser. Elle porte un tailleur, de larges lunettes, a les cheveux bruns attachés en queue de cheval basse et une peau légèrement halée. Elle nous présente donc le programme de la matière qu'elle enseigne, soit l'anglais, et on comprend vite par l'autorité qu'impose sa voix qu'il ne vaut mieux pas se fier à sa taille. Passe ensuite la professeure de français. Elle a une coupe au carré blonde, de grands yeux sombres et doit certainement être en surpoids. Cette année, comme avec toutes les premières années, le thème général en français sera l'amour car il coïncide avec l'année de nos vingt-et-un ans.

En effet, c’est cette année que l’on est sensé procréer. Durant les trois mois suivant notre anniversaire, on doit se rendre dans un établissement spécial, il nous est attribué un binôme avec qui on doit avoir deux enfants, en général. En ce qui concerne les personnes qui prolongent leurs études, ils sont assez peu nombreux pour qu’on ne leur demande d’en avoir qu’un seul et de ne pas avoir à l’élever. Ça doit leur être utile pour compenser les enfants jumeaux ou triplés. Apparemment, il est extrêmement rare de revoir la personne avec qui on a eu ses enfants. La plupart du temps, ce n’est qu’une fois dans sa vie. Pour ma part, ce sera en début août, ce qui ne m'arrange pas pour le début de ma deuxième année d'étude mais tant pis, je n'ai pas le choix.

Ceci fait, le professeur de mathématiques reprend la parole.
-Merci Madame Bouanen. Pour ma part, je vais aller me présenter à la classe de PPC1-1. Votre professeur de physique-chimie et moi-même sommes ceux de ces deux classes, explique-t-il. Il ne devrait pas tarder à arriver, attendez-le ici.
Et il sort. Un silence complet s'installe sur la salle. Nous attendons. Au bout de quelques minutes, on entend distinctement frapper à la porte qui s'ouvre ensuite sur notre professeur.

Love me like there's no Tomorrow Où les histoires vivent. Découvrez maintenant