Chapitre 9

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Le silence reprend sa place entre nous et c'est comme si je pouvais distinguer tous ses traits, tant il est puissant. Je m'apprête à me lever tandis qu'il est toujours en face de moi, il pose ses mains sur chacune de mes cuisses et appuie assez fort pour que je ne puisse pas me lever. Il plonge de nouveau ses yeux dans les miens et reprend la parole :

« Victoire, je ne me répéterai pas. Donne-moi cette pierre et laisse-moi la détruire, s'il-te-plait.

- Élias, nous le savons tous les deux, il faut qu'on règle quelque chose qu'on a mal fait dans le passé. Si on ne le fait pas, on risque de se faire bouffer par les regrets.

- Je m'en fous de passer ma vie à regretter de pas avoir fait plus avec toi, je regretterai de pas t'avoir aimé plus mais on ne peut plus rien y faire maintenant.

- Bien-sûr que si, cette femme nous a dit qu'il fallait réparer quelque chose dans le passé.

- Et aussi qu'il y avait une âme impure entre nous deux. Cette femme est une menteuse rien de plus.

- Tu ne penses pas qu'on a quelque chose à réparer ?

- On ne peut rien réparer. »

Il se relève et tend sa main vers moi pour que je pose la pierre dedans.

« Élias, s'il-te-plait, tu ne veux pas qu'on en discute plus sérieusement ?

- On en a discuté, si tu veux retourner dans le passé c'est ton choix, mais tu n'as pas à me mêler à tes décisions comme tu as pu le faire avant. On a plus 15 ans, on est bientôt majeurs et rien ne pourra réparer les saloperies qu'on s'est faites mutuellement. C'est terminé entre nous et ce depuis longtemps. »

Je n'arrive pas à rajouter quelque chose à ces mots tout simplement parce qu'il a raison. Comment pourrais-je répondre à tout ça ? Je ravale un sanglot et je tente de le faire aussi avec mes larmes qui désormais sont à la limite de mes yeux, un battement de cils suffirait à les faire couler. Élias doit le voir puisqu'il me regarde en tentant de mettre une distance entre nous avant de reprendre la parole avec une voix plus douce que son regard :

« Victoire, il faut qu'on se sépare définitivement et qu'on ne soit que des amis d'amis au grand maximum. Je refuse de perdre plus de gens que je n'en ai déjà perdu. Ta mère nous a causé des crève-cœurs à tous les deux mais je doute que les tiens aient été plus fort que les miens. Je t'aimais et tu l'as toujours su. »

Je ne réponds pas, mais il faut que je réagisse, je le sais. J'ai peur de me le mettre à dos, et nous savons tous les deux que nous avons mûri chacun de notre côté. Nous avons un caractère très fort tous les deux, se disputer n'est pas la meilleure des idées et je le sais. Mais inconsciemment la rage monte en moi et je sens qu'elle se décline en haine ; jamais je n'aurais imaginé que je ressentirais ce genre de choses envers lui. Je sais que je dois me contenir mais comme toujours mon barrage cède.

« Alors pourquoi tu ne m'as rien montré ? Peut-être que notre relation aurait marché si tu avais donné du tien comme je l'ai fait, dis-je en me levant pour lui faire face. »

Il me regarde les yeux écarquillés, j'ai bien peur que notre plus grosse engueulade n'éclate s'il ne se contrôle pas non plus.

« Je vois que tu aimes tout remettre sur le dos des autres. A ce que je sache je ne me suis tapé personne de ta famille comme tu l'as fait avec mon frère. La seule chose que tu peux me reprocher c'est de t'avoir malencontreusement confondu avec une femme dans une faille au milieu de nulle part.

- J'attends toujours tes excuses.

- Il faut toujours que je m'explique et m'excuse pour tout et rien avec toi Victoire, sincèrement je commence à te détester plus qu'autre chose. J'étais fatigué, désespéré et fou amoureux, est-ce que tu penses que je regardais ce que je faisais et que je pensais à tout ce qu'il pouvait bien se passer autour de moi ?

- Tu aurais dû.

- Je sais que je ne suis plus l'homme que j'étais, que tu ne trouves plus la personne que tu aimais en moi et c'est tant mieux. »

Il passe sa main dans ses cheveux tandis que chaque muscle de mon corps se contracte de façon incontrôlée.

« Tu vas regretter ce que tu vas dire Victoire.

- Laisse-moi parler avant que je ne t'insulte de tous les noms que la langue française possède.

- Victoire crois-moi tu ferais mieux de partir parce qu'on va se déchiqueter et tu le sais aussi bien que moi.

- Quand je t'ai vu j'ai su que tu étais un homme bien et tu as confirmé mes pensées, mais je ne sais pas comment tu as changé, en mal.

- Et je ne compte pas changé pour toi, de nouveau.

- Tu as été le premier homme que j'ai aimé et tu le resteras, malheureusement. Mais sache que je ne t'aime plus, et ce depuis bien longtemps, je suis fière d'avoir réussi à me sortir de cette fichu histoire avec toi.

- Continue, je sais que tu en meurs d'envie.

- Je te hais Élias, tu as ce que tu voulais c'est bon ?

- Je sais Victoire, je l'ai toujours su. »

Il se retourne pour ne pas voir l'incompréhension qui s'affiche sur mon visage. Il s'assoit sur l'un des tabourets de sa cuisine qui donne sur le salon tout en évitant mon regard.

« Je te demande pardon ? repris-je d'une voix tremblotante.

- C'est bon tu es calmée ?

- Élias, tu as toujours su que je te détestais ?

- Que tu me détesterais, je ne savais juste pas quand ça allait me tomber dessus. Je l'attendais plus tard, pas maintenant et encore moins chez moi. C'est pas comme ça que j'imaginais notre séparation officielle, avec une vraie discussion, me compléta-t-il. »

« Une vraie discussion », il est vrai que le jour où je l'ai quitté, nous n'avions pas parlé sérieusement comme nous aurions dû. Je suis partie sans un mot et nous avions passé le périple à nous haïr mutuellement, enfin j'avais passé le périple à le haïr.

« Comment tu as su ça ? repris-je.

- J'ai toujours su que je ne te méritais pas vraiment, tu me l'as montré en sortant au bout d'une heure avec un type qui a failli te violer, et aussi avec mon très cher frère. Je n'ai pas compris d'ailleurs, pourquoi, comment tout ça est arrivé.

- Élias, je...

- Je ne veux rien entendre, sors d'ici Victoire. Et que nous soyons bien d'accord si tu veux faire quoi que ce soit avec cette pierre, ce sera sans moi. »

Je me sens tomber de plusieurs étages. Je me suis longtemps imaginer cette scène en préparant tout ce que je pourrai bien lui répondre, mais maintenant, ici, face à lui, et à cette révélation, je perds mes mots. Je sens ma respiration se couper tandis qu'il monte dans sa chambre sans me jeter un regard. Mes jambes me lâchent presque tandis que je quitte sa maison. Je me dirige vers la mienne et ouvre tranquillement la porte en tentant de ne pas m'effondrer. Je serai plus forte que ça. Je monte sans un bruit dans ma chambre et m'écroule sur mon lit. Je ne veux plus lâcher une seule larme, plus une seule. Je ferme les yeux et sens ce poids revenir, une fois de plus et je sais, ici, dans ma chambre, sur mon lit, qu'il ne quittera plus jamais ma poitrine comme Élias ne quittera plus mon cœur.

L'Autre Monde 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant