Le rapt de Perséphone

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Sophia avait complètement raison. Nul ne pouvait enlever à son époux sa vaillance de cœur pour avoir quitté les Indes à la seconde où il avait appris la disparition de sa femme et pour avoir écouté les conseils d'une sorcière sans prendre la peine d'y réfléchir à deux fois. Mais, assurément, il n'était pas doué pour l'escalade. Il ne trouvait pas la moindre prise, s'attardait longtemps entre chaque déplacement et tremblait à l'idée de chuter. Sa montée était tellement laborieuse que Bellamy et le chirurgien demeurèrent en bas, au cas où. Le pire pour Henry fut de constater avec aigreur le semblant d'aisance dont Sophia faisait preuve. Elle hésitait le moins possible et priait très fort, intérieurement, sans ciller. 

Arrivé au renforcement qui, ils le confirmèrent, était bel et bien un tunnel creusé dans la roche, la respiration d'Henry résonna contre la roche. Il s'évertua à contenir son essoufflement en inspirant et expirant avec calme, mais Preciosa ne manqua pas son manège et ricana en lui lançant un tas de moqueries. Bien que sa femme renvoya un regard irrité à la pirate, Sophia ne paraissait guère dérangée par les familiarités de ces mécréants. A vrai dire, elle donnait l'impression de s'y être habituée et les taquineries ne l'atteignaient plus du tout. 

— Où avez-vous appris à grimper à mains nues ? 

Sophia accusa le choc de son ton dépité en un hochement de tête contrit.

— Eh bien, de la même façon que vous. En m'y essayant. Nous avons de la chance que ce tunnel ne soit pas plus haut. 

Sous-entendu, elle avait escaladé une plus grande hauteur auparavant. Il la dévisagea, elle et les pirates. Que l'avaient-ils obligée à faire ? Il ignorait que sa femme détenait une curiosité débordante et qu'elle les aurait accompagnés dans ces épreuves envers et contre tout. Son obsession pour la connaissance l'avait menée sur des chemins très dangereux, mais elle préférait taire cela. Sophia avait parfaitement conscience que son image impeccable de la veuve de Canterbury, docile et mordante, courtoise et audacieuse, cette image-là s'était brisée en mille morceaux aux yeux d'Henry et elle ne pourrait la réparer. Désormais, elle devait faire en sorte que cela ne le répugne pas et qu'il ne la répudie pas de retour en Angleterre. 

Bellamy et le chirurgien les avaient rejoints pendant ce temps et ils se mirent en route sans gaspiller une seconde. Henry vacilla à la vue de ce tunnel sombre et humide où la fraîcheur s'était amassée, l'humidité lui grattant la gorge. N'allaient-ils prendre aucune précaution ? Puis, il songea que rien ne pourrait les avantager dans cette avancée à l'aveugle. Par réflexe, il devança sa femme pour se placer entre elle et les pirates, entre elle et de potentiels dangers qui se dissimuleraient dans les ténèbres. Elle rougit instinctivement, mais Sophia devait l'avouer, oui elle le devait : les attentions de son mari n'ôtaient pas la douceur des lèvres du Capitaine sur les siennes, la chaleur réconfortante dans son ventre à la pensée de ses caresses interdites. Il n'engendrait pas le même trouble en elle, et cela l'agaçait fermement. 

Ils avancèrent à tâtons, torches tendues et orbes grand ouverts. Pour une raison que Sophia ne s'expliquait pas, leurs respirations se répercutèrent en une centaine d'échos, bien plus que dans les tunnels d'Aphrodite qui étaient plus larges. Ce son régulier et omniprésent aurait pu rendre fou n'importe qui ; heureusement, ils ne comptaient pas s'éterniser ici et combler la distance à un rythme soutenu. Rapidement, les halos dorés de leurs flammes éclairèrent des formes biscornues. Ils observèrent d'abord avec méfiance, puis l'un des joueurs de cartes hurla d'un coup un mot qui les fit tous réagir. Or. La jeune femme souffla théâtralement. 

— Quoi d'autre que de l'or pour qu'ils accourent bêtement ? marmonna-t-elle.

Henry l'entendit et pouffa. Cela ne l'étonna pas de la part de pirates. Elle non plus. Il s'agissait en fait d'une table exposée là, à un tournant du tunnel, où trônaient des fruits par dizaines, des blocs de viandes séchées, une vingtaine de bouteilles et quelques pièces d'or éparpillées ci et là avec une ribambelle de bijoux. Ils s'étaient plantés à un mètre de ce mirage séduisant, sauf que le Capitaine giflait toutes les mains qui frôlaient de trop près les offrandes. Sophia se désintéressa rapidement d'eux au bruyant gargouillement de son époux. Celui-ci lâcha un gloussement gêné et évita son regard froncé. 

Pandora's CurseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant