Les injustices d'Adicie

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Deux heures plus tard, ils étaient prêts à continuer leur périple. La poupe n'avait pas trop souffert et Preciosa avait rapidement fini sa besogne. Elle décréta qu'il faudrait absolument un radoub pour vérifier l'état général du navire une fois à terre et surtout pour nettoyer la carène, partie immergée de la coque. Le calfat s'assura de la bonne étanchéité du Pandora et fut plutôt satisfait de son inspection. Le voilier, quant à lui, se plaignit d'avoir à recoudre ou rafistoler plusieurs parties du gréement. Il s'y attela calmement assisté par plusieurs mains charitables. 

Les maîtres artisans firent leur rapport au Capitaine. Il ne redoutait jamais un travail mal effectué ou trop lent. N'ayant réuni que les meilleurs experts à sa connaissance dans leur domaine respectif, les trois travaillaient à une vitesse et une efficacité impressionnantes pour son plus grand plaisir. Par la suite, seule Preciosa demeura dans sa cabine avec le timonier.  Afin de reprendre pour de bon leur chasse aux trésors, ils devaient d'abord découvrir le nouvel indice. Cependant, à l'instant où James s'empara de la carte, Bellamy hoqueta de stupéfaction, s'attirant les regards perplexes de deux autres, et il s'exclama :

— Où diable est passé Sophia ? 

Les deux autres se souvinrent à leur tour de la jeune femme, enfermée depuis plus de deux heures dans la cambuse. 

— Et aucun de vous deux n'a pensé à la sortir de là ? s'insurgea le timonier.

— J'étais occupée. 

— J'étais...occupé, moi aussi...à ramasser les bouts de verre dans ma cabine et à planifier...euh...

— Pendant deux heures ? Pour enlever le verre de ta bouteille ? Sérieusement, James ? Je ne sais pas ce que tu éprouves réellement pour elle, de l'indifférence, de la haine, du dédain ou autre chose, mais cesse de la traiter comme un fantôme sur ton bateau. Elle nous aide énormément, malgré sa condition. Tu devrais lui montrer un peu plus d'égards, bon sang !

L'interpellé se renfrogna, sous les orbes rieurs de la charpentière. Bellamy souffla sa frustration et leur fit signe de les suivre. Hors de question que la jeune femme ne sache rien de leur situation, enfermée là-bas sans nouvelles. James attrapa la carte à la volée et ils gagnèrent la cambuse. Le timonier toqua trois coups et s'annonça d'une voix douce. Il ne fallut pas plus d'une seconde pour que le bruit du loquet résonne et que la porte du magasin s'ouvre. Peut-être par peur ou par simple réflexe, Sophia se jeta sur lui en l'entourant de ses bras menus. Il sourit contre son épaule, rassuré de la trouver saine et sauve.

— La dernière fois qu'un homme m'a dit de me cacher quelque part sur un navire, j'ai terminé à la mer. 

Il lui frotta le dos pour unique réponse. Nul pirate sur le Pandora's Curse ne pouvait lui ôter ses souvenirs de ce jour-là, le jour où elle voguait tranquillement vers son enfant et que des forbans l'avaient arrachée à ce voyage, presque tuée dans la manœuvre. Si Preciosa ne l'avait pas vue tomber dans l'eau, ils ne l'auraient pas repêchée et elle serait morte à cette heure. Bellamy la comprenait très bien. Lui avait rêvé d'une vie de marin honnête, s'était enrôlé sur un navire qui ne lui avait rien offert de bon hormis une attaque cruelle qui avait faillie le détruire. Pour lui, cet équipage et ce Capitaine représentaient la salvation inespérée. Pour elle, la damnation totale. 

James les fixait d'un œil mauvais, en retrait, bras croisés. Plus de doute, Bellamy avait gagné les amitiés de la jeune femme et il n'avait plus qu'à les regarder s'amouracher l'un de l'autre. Il eut un haut-le-cœur sans trop en déterminer la raison. Preciosa retint un gloussement narquois, les jaugeant tour à tour. Elle ne fit aucun commentaire, mais tapota le bras du timonier pour le presser.

Celui-ci relâcha l'étreinte de la Marquise qui lança un regard noir, par habitude sûrement, au Capitaine. Tous les quatre montèrent au pont supérieur où les dernières traces de sang étaient essuyées. Une moue boudeuse s'empara de ses lèvres rouge vive. Elle en avait profité pour grignoter ce qu'il restait de mangeable et de buvable sur le navire, c'est-à-dire le fond d'eau dans le charnier et les rares biscuits que les asticots n'avaient pas encore infesté. Sophia se moquait totalement d'une possible, et probable, réprimande pour cela. Elle avait faim, elle avait soif, et Bellamy lui apprit bientôt qu'ils l'avaient peut-être oubliée sans le faire exprès. 

Pandora's CurseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant