6. Réel ou imaginaire ?

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Point de vue d'Isabella

Prends tes écouteurs et écoute : Save Tonight - Zayde Wølf

Autour de moi règne une agitation irritable. Le tumulte s'élève dans un brouhaha général. La panique finit par gagner du terrain, engendrant la confusion la plus totale. Les cris et les pleurs jaillissent telle la lave en fusion, mortels et explosifs.

Bon nombre des convives se laissent tomber sur le sol, la bouche béante sous l'effet de surprise. Certains, plus courageux, appellent les secours. Quant aux autres, ils capturent de leur téléphone dernier cri l'affreuse découverte comme si elle revêtait un caractère amusant. Mais si leur réaction à chacun est différente, ils partagent tout de même un point commun. La tristesse. Tous, d'une manière ou d'une autre, semblent affectés par le décès de l'un des nôtres.

Après tout, cela est compréhensible. Le corps sous nos yeux présente de multiples lacérations, au niveau du thorax, formant des lettres distinctes « IN VINO VERITAS ». Si j'en déduis qu'il s'agit là d'une locution latine signifiant « Dans le vin, la vérité », j'ignore le sens cache des mots qu'elle implique.

La peau de son visage a été dépecée scrupuleusement en un masque de chair humaine qui repose aux côtés de la dépouille. Il va sans dire que je n'imaginais pas un jour être témoin d'une scène aussi macabre et repoussante.

Tel un porc que l'on aurait abattu, un trou béant perse le bas-ventre de la victime duquel s'échappe une substance visqueuse et rougeâtre. Le corps baigne ainsi dans son propre sang, lui-même répandu sur la faïence de la cuisine. Cela pourrait être déplaisant, s'il n'était pas aussi satisfaisant à regarder. Je me surprends à contempler les reflets de lumière sur cet épais liquide sombre. Ils m'envoûteraient presque.

Pour ce qui est de l'odeur comblant à présent la totalité de la pièce, elle est loin d'être fétide. Bien au contraire, je jugerai même agréable sa similitude à celle du fer.

Si cette vision est d'ores et déjà troublante, elle est bien pâle en comparaison des entrailles de l'homme qui se dérobent à son abdomen. Boyaux, intestin et foie nous apparaissent, transformant ce qu'il reste en un amoncellement poisseux et nauséabond. Cette vision d'horreur provoque les geignements de l'assemblée en émoi. Leurs visages livides témoignent du dégoût qu'ils éprouvent, de même que le contenu de certains de leur estomac éparpillé sur le sol.

Cependant, mon attitude est quelque peu différente de la leur. En dépit du caractère épouvantable peint sur la toile, je ne suis pas ébranlée, pétrifiée et encore moins en état de choc. Je ne ressens pas le besoin de le fuir. Au contraire, j'en savoure pleinement ses effets exaltants.

Mais qui a-t-il d'aussi grisant dans un meurtre me demanderiez-vous ?

La vengeance !

Car découvrir le corps sans vie de son violeur est la plus belle victoire que vous puissiez obtenir. Si la justice n'est pas parvenue à faire son travail, la mort, elle, aura été radicale et assurément efficace. À présent que l'ordre a été restauré et que chaque chose est, pour ainsi dire, à sa place, cette boule qui s'était établie dans ma poitrine n'est plus. Cette dernière s'est envolée à l'instant où James a quitté cette Terre, laissant place au soulagement le plus absolu.

Je devrais me sentir coupable d'éprouver de la joie en de pareilles circonstances mais la culpabilité est un bien doux prix à payer face au bonheur, en l'occurrence, l'apaisement que je ressens. Celui-ci vaut bien une éternité de fustigation.

Désormais, jamais plus il ne mettra la main sur quiconque, jamais plus il ne violera de femme et jamais plus il ne volera de vie et cela, voyez-vous, est revigorant au-delà du possible. Il est donc naturel de me complaire dans son malheur.

NémésisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant