Pas de répit pour les pécheurs... (1)

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DARREN —

J'ai arrêté de compter.

Les verres. Les erreurs. Les péchés.

Tout, finalement. Chaque nombre fait mal – ces temps-ci, encore plus. Chaque jour, mes décomptes me trouent de toutes parts, écrasent mon visage boursouflé par la honte contre le sol. Plus les chiffres grimpent, plus je descends dans ma propre estime, plus... j'ai envie de m'arracher à moi-même. C'est ironique, sachant que tout est de ma faute, mais je déteste voir à quel point tout est parti en vrille, à quel point ces années d'écarts et de débauche ont eu raison de moi.

Je me déteste pour avoir transformé ce conte de fées en cauchemar...

C'est à cela que je bois, ce soir : au deuil de cet objectif – plus chimérique qu'autre chose – d'avoir, un jour, la conscience libre. Ça peut sembler pessimiste, mais... Longtemps, j'ai gardé espoir. J'ai cru de toutes mes forces que je pouvais devenir quelqu'un de bien, et ça a été l'une de mes plus grandes erreurs. Si je pouvais revenir en arrière, je ferais tout pour faire comprendre à mon moi de l'époque qu'il existe certains péchés qui ne peuvent être absolus...

Peu importe le nombre de fois que tu pries. Peu importe le nombre de fois que tu hurles au secours. Peu importe le nombre de fois que tu t'inclines, tes genoux s'enfonçant dans la pierre. Peu. importe.

Pas de répit pour les pécheurs...

Mais peut-être que si je descends assez de verres, les souillures qui s'accrochent à mon âme finiront par s'en aller...

Je chasse cette réflexion idiote d'un geste de la main. J'ai l'esprit empoisonné, le cœur contusionné... Et si l'alcool a mauvaise réputation, ce soir, c'est un élixir qui m'offre ce que la vie s'obstine à me refuser : l'oubli. Alors, j'en prends – un peu, beaucoup, passionnément...

Sans un mot, le barman remplit à nouveau mon verre en crystal. Je l'avale cul-sec. Le liquide se fraie un chemin dans mon corps, mettant le feu à ma gorge. Il me faut faire appel à toute ma volonté pour retenir les larmes acides qui montent. C'est tellement fort que je reste étourdi quelques secondes, dans un entre-deux brumeux... mais pas désagréable pour autant.

Puis, la surface me happe. Les contours du bar réapparaissent et pour la première fois depuis une éternité, j'ai la tête vide. Le poids sur les épaules semble s'envoler. J'arrive enfin à inspirer sans souffrir le martyr. Sans repenser à tout ce qui ne va pas. Je me surprends même à apprécier l'horrible musique qui berce la pièce en cette nuit d'été. Elle ne me dérange plus, plus maintenant, de même que les idiots en costard qui bavardent à mes côtés.

Dans un excès d'euphorie, je scrute la pièce, cherchant Samaël des yeux... avant de me souvenir que je ne le trouverai pas ici. Je soupire. Sam ne mettrait jamais les pieds dans un endroit comme celui-ci – en tout cas, pas durant nos vacances à Malibu. En même temps, les bruits les plus forts sont la musique de fond et le claquement des talons des serveurs sur le parquet. C'est exceptionnel, pour un bar en plein centre-ville, mais l'Everest n'est pas un établissement ordinaire. Autour de moi, la plupart des gens dînent avec des manières extravagantes. Ils parlent à voix basse, s'enfilent des verres d'alcools hors de prix sans sourciller. C'est le genre d'endroit que mon père aimerait. Calme. Luxueux. Parfait pour ses affaires.

Oh oui, il aimerait.

Mais pas moi.

C'est trop froid, trop impersonnel. Il n'y a pas de cris, pas de blagues, pas la chaleur caractéristique de mes meilleurs amis. Je ne sais même plus pourquoi j'ai quitté la fête à laquelle nous étions, pourquoi j'ai roulé jusqu'ici pour boire tout seul comme un putain d'alcoolique. Je ne sais plus pourquoi je suis parti sans signaler, pourquoi je me suis enfui comme un voleur.

RUSSIAN ROULETTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant