RUSSIAN ROULETTE

Avant la tempête

— DARREN

S'il y a bien une chose que les dernières années m'ont appris, c'est de savoir profiter du calme avant la tempête.

Prendre le temps de profiter des petites choses, de recueillir du positif, surtout quand on sait qu'une avalanche nous guette. Parce que ce sont ces petits riens qu'on collecte qui nous permettent de rester entiers, de continuer à avancer quand la vague nous frappe. Ce sont eux qui nous permettent de survivre à la houle, de garder la tête hors de l'eau.

Il y a quatre ans, mes petits riens sont ce qui m'a permis de rester en vie. De ne pas me laisser aller. Quelques mots par-ci, un petit sourire par-là, une idée de roman que je me devais de concrétiser... Le souvenir brûlant de Saska dans ma mémoire, les fous rires que nous avions avec Sam et Will, les chansons que me chantait mon père en russe quand il avait un peu trop bu... Ce sont ces choses-là qui m'ont donné la force de ne pas me laisser mourir. Même alors que le pire pointait son nez, même alors que je ne savais plus où donner la tête, je suis resté debout. Je m'y suis accroché.

Aujourd'hui, j'observe Saska depuis le siège conducteur et je m'efforce de garder des images pour plus tard. Je ne la verrai plus avant un bon moment, je le sais, alors j'actualise le portrait mental que je garde d'elle. Ses cheveux crépus sont plus longs ; attachés, ils lui tombent dans le dos. Elle fait plus âgée, encore plus tranchante qu'elle l'était avant, mais il y a toujours cet air juvénile quelque part sur son visage. Elle a toujours l'air d'être cette fille qui a ravi mon cœur et l'a gardé depuis.

Quatre ans.

Ses traits sont paisibles, cependant je sais mieux que quiconque que cette image est fausse. Elle était en danger, je l'ai senti dans sa voix. Elle était terrifiée par cet homme, à un tel point que je sens qu'il ne l'a laissera pas s'en aller de sitôt. Alors que je l'observe, les questions et les scénarios florissent dans mon esprit. Avait-elle une quelconque relation avec elle ? Combien de temps l'a-t-il gardée dans cet endroit ? Qui est-il, bordel ? Que lui a-t-il fait ? Je suis à la fois curieux, anxieux et en colère.

Je vais le trouver.
Et quoiqu'il lui ait fait, je lui ferai payer le centuple.
Bientôt.

Pour l'instant, je m'accorde quelques secondes de paix. Je me contente de profiter du moment, de graver Saska dans mon esprit, histoire de pouvoir avoir ma dose d'elle quand elle repartira. Parce qu'elle repartira. Quand monterai et la remettrai à Will, il m'interdira de l'approcher. Et même si la douleur d'être séparée d'elle me brûle au plus profond de moi-même, même si quelque chose en moi trouve ça profondément injuste, je comprends. Il ne peut pas prendre le risque qu'un évènement comme celui d'il y a quatre ans arrive. Il ne peut pas prendre le risque que je détruise nos vies – parce que cette fois-ci, il pourrait bien ne pas avoir de point de retour...

La tablette de la voiture affiche quatre heures du matin. Ça fait plus de dix minutes que je suis garé devant notre hôtel de vacances, mais je n'ose pas entrer. Trop de choses changeront à partir du moment ou j'y poserai le pied, et je ne suis pas prêt pour ça. À la base, William et Samael m'avaient traîné ici pour me changer les idées. Ce devait être une petite escapade fun, qu'on aurait passée à boire et à se détendre. Ils étaient tellement enthousiastes - enfin, surtout Samael - à l'idée de me faire sortir et de prendre le temps de décompresser comme au bon vieux temps... Je suppose qu'ils peuvent mettre une croix sur tout cela, n'est-ce pas ?

Je soupire. Juste avant que je ne quitte la fête à laquelle nous avions été invités, tout se passait pour le mieux. J'avais preque arrêté de penser à Saska. Presque. Je m'autorisais à vivre sans me poser de questions, tout simplement. A profiter avec les seules personnes qui étaient restées à mes côtés peu importe les circonstances.