Questions (1)

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— SASKA

Mon troisième jour à la maison, les questions arrivent.

Je ne suis pas surprise, au contraire. Je m'étais attendue à disposer de moins de temps pour élaborer une histoire convaincante. Depuis mon retour, je sens toujours leurs regards à la fois inquiets et curieux sur moi. Jusqu'à ce moment, j'avais l'impression que l'interrogatoire tomberait d'une seconde à l'autre. En même temps, mon état était lamentable quand ils m'ont retrouvée. Je n'avais pas de bleus ou de blessures apparentes, mais il a foutu mon esprit en l'air, et les conséquences étaient visibles sur mon corps. Ça faisait des jours entiers que je n'avais pas pris de repas correct quand j'ai appelé Darren.

Le premier jour, après qu'Iris et William m'aient laissée dans ma chambre, j'ai dormi, presque incapable de garder mon esprit clair. J'avais passé tellement de temps sur mes gardes, à attendre son retour, à me demander pourquoi il faisait tout ça, que maintenant mon manque de sommeil me rattrapait. Je ne me suis pas réveillée avant le lendemain, aux environs de midi.

Iris m'a apporté à manger, me regardant comme si elle ne savait pas si j'étais un animal fragile ou un prédateur dont il fallait se méfier.

Si j'étais elle, je me serais méfiée.

Parce que même si je ne suis pas le prédateur, je suis en train d'en attirer un vers eux.

Je me suis préparée. J'ai ajusté mon masque, répété mon rôle.

Saska Harris. 22 ans.
Audacieuse. Effrontée. Espiègle.

Ce rôle, c'est le mien, mais il me vient difficilement. Comme une aptitude qu'on a lentement perdue. J'essaie de réapprendre les contours en discutant avec Iris, le personnel, parfois papa. William, lui, m'évite la plupart du temps. A chaque fois que nous nous voyons, il essaie de me faire parler de Darren. Ce qu'il m'a fait. Comment il m'a retrouvée.

À chaque fois, j'esquive ses questions. Sous cape, j'analyse son ton pour comprendre ce qu'il a envie d'entendre. Juste penser à ce qui pourrait arriver s'il ne me croit pas me file la chair de poule. Si jamais ils se mettent à sa recherche, deux parties distinctes de ma vie vont entrer en collision.

Je ne veux même pas imaginer ce qui arrivera alors.

Bien installée dans un fauteuil du bureau de mon père, j'observe les deux hommes qui ont bercé mon enfance. Tous deux sont vêtus de costards ajustés, leurs petites broches en or massif présentant un lion rugissant – l'emblème des Harris. J'en avais un, à l'époque. Il est resté dans l'ancienne maison de ma mère. Je les regarde en face, feignant la lassitude de quelqu'un qui n'a plus rien à cacher. De toute manière, feindre d'être trop affectée pour en parler n'aurait pas marché sur le long terme.

Mon père me demande de tout lui expliquer, depuis le début. Je m'y attendais, mais je laisse exprès un silence tendu imprégner l'endroit. Je dois les faire stresser. Après quelques secondes, gonfle mes poumons, mon stress bien enfoui, et j'ouvre enfin la bouche :

— Après que je sois partie, maman... (je secoue la tête de droite à gauche, un masque de déception bien composé.) elle a pris une maison et on a vécu là pendant quelques temps. C'était différent du luxe d'ici, bien sûr, mais on s'est adaptés. (Je hausse les épaules.) Les premiers mois étaient faciles. On voulait vraiment que ça marche. Mais maman ne pouvait pas tenir un travail, alors j'ai travaillé pour qu'on continue à vivre comme n'importe qu'elle famille modeste. (Je hausse les épaules.) J'ai fait ce que j'avais à faire.

Je prends un instant pour jauger l'atmosphère de la pièce. Ils sont tendus, presque... coupables que j'ai eu à travailler alors qu'ils baignaient dans la richesse ici. Parfait.

RUSSIAN ROULETTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant