Chapitre 2

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Je pénètre dans la cuisine en faisant comme si tout était normal. Mes parents tournent aussitôt les yeux vers moi. Je sens leurs regards fixés sur ma personne tandis que je me sors un bol et mon paquet de céréales préférées. Je vais m'installer à ma place habituelle et attrape la bouteille de lait. Je commence alors à manger, les joues brûlantes d'embarras.

"Pas de commentaire. Pitié, qu'ils ne fassent pas de commentaire".

Bien entendu, ils finissent par en faire un.

— Bon, soupira ma mère, au moins, avec vous deux, nous ne risquons pas un bébé inattendu.

Je me fige en pleine mastication, la bouche pleine de Miel pops. Voilà encore une chose cachée à mes parents : les loups mâles oméga comme moi peuvent enfanter. Je sais, cela n'a rigoureusement pas le moindre sens ! Mais c'est comme ça. Du moins, c'est ce que l'on m'a affirmé.

L'arrivée de Martin suivi de près par Pruneau me dispense heureusement de répondre. L'alpha a l'air beaucoup plus à l'aise que moi, probablement parce que les loups-garous sont beaucoup moins pudiques que les humains. Je suppose que ses parents trouveraient parfaitement normal de me surprendre dans le lit de leur fils. Ils sont certainement au courant que ce dernier découche toutes les nuits.

— Bonjour monsieur et madame Cresp, dit-il d'un ton très naturel.

— Bonjour Martin, répondent-ils d'une seule voix, tout sourire.

Mes parents également apprécient l'alpha. C'est toujours ça, j'imagine. Ma vie serait encore plus compliquée si je devais leur cacher aussi ma relation.

Pruneau se précipite vers moi comme s'il me voyait seulement maintenant. Il essaie de bondir pour monter sur mes genoux, mais je ne le laisse pas faire, pour ne pas lui donner de mauvaises habitudes. Pour le moment, je peux le tenir sans problème, bien sûr, mais il ne restera pas petit et léger longtemps.

Mes parents ne m'aident pas beaucoup dans son éducation. Ils ne voulaient pas de chien, au départ. Mais, maintenant, ils sont complètement gâteaux de Pruneau. Ils le traitent comme s'il était leur enfant dernier né et mettent à mal toutes mes tentatives de dressage en cédant à tous ses caprices. Ils étaient beaucoup plus sévères avec moi. Bref, il est devenu le chien de la famille pourri gâté. Sauf quand il fait ses besoins dans l'entrée et qu'il faut ramasser. Dans ce cas là, il redevient exclusivement le chien de Théo, bizarrement.

— Alors, c'est le départ aujourd'hui ? demande mon père à Martin en lui servant un café. Tu n'as pas tes bagages à faire ?

Ce qui est sans doute une façon indirecte de mon père de demander au jeune homme ce qu'il faisait dans le lit de son fils au lieu de s'occuper de ses propres affaires. Mais mon petit ami est quelqu'un d'épouvantablement organisé. Figurez-vous qu'il a même fait une liste à cocher de tout ce qu'il devait emporter. Oui, une liste ! Moi je me contente habituellement de faire ma valise une heure avant le départ.

— Mes bagages sont bouclés depuis trois jours, Monsieur Cresp, peut donc répondre poliment l'alpha.

— Oh, trouve simplement à répondre mon père qui est encore plus bordélique que moi.

Quand nous partons en vacances, nous devons toujours commencer par nous rendre dans un centre commercial ou un supermarché pour qu'il achète tout ce qu'il découvre avoir oublié en arrivant.

— À quelle heure part ton train, déjà, veut savoir ma mère.

J'enfourne une nouvelle bouchée de céréales, maussade. Je prends soin de mâcher en faisant le plus de bruit possible, dans le vain espoir de ne pas entendre la réponse, même si je la connais déjà.

— A 17 h 08. Mes parents vont m'emmener en voiture.

— J'irai avec Martin déjeuner chez les Imbert, je précise, mine de rien.

Je prends bien soin de ne pas leur demander la permission. J'ai eu 17 ans il y a quelques jours. Je suis presque majeur, maintenant. Enfin, je le serai dans un an, quoi. Connaissant mes parents, il leur faudra du temps pour s'y habituer.

Nous partons chez les Imbert vers la fin de la matinée. Dehors, il fait un temps radieux. Cela fait plusieurs semaines qu'il n'a pas plu, en record. Je me suis habitué à ne voir qu'un ciel bleu au-dessus de ma tête et à me promener en t-shirt.

L'été a été plutôt cool. J'ai passé l'essentiel de mes journées à traîner avec Martin dans les bois pour apprendre à maîtriser ma condition de loup-garou. Croyez-le ou non, cela n'est pas si simple, peut-être en raison de ma moitié humaine. Le reste de mon temps libre a surtout été consacré à éduquer Pruneau. J'essaie pour le moment en vain de le convaincre d'attendre d'être dehors pour faire ses besoins. Il ne semble pas en voir l'intérêt et me regarde toujours avec curiosité lorsqu'il me voit ramasser ses crottes. Il doit certainement se demander ce que j'ai l'intention d'en faire (à savoir, rien).

Nous commençons par suivre une route étroite en légère pente. Nous habitons avec mes parents sur une légère hauteur, dans le cœur historique de l'agglomération et Martin en périphérie à côté de la forêt parce que sa famille a besoin de place pour son entreprise de bois. Et aussi parce que cela leur permet de se transformer avec plus de discrétion, ce qui est bien pratique.

Je prends une grande inspiration pour remplir mes poumons d'oxygène. Parfois, il m'arrive de trouver un certain charme à Gardelune, avec ses petites maisons biscornues en pierre de taille et ses vieilles ruelles en zigzag. Mais parfois, seulement. Et n'allez surtout pas le répéter à mes parents.

L'alpha glisse sa main dans la mienne. Il y a quelque temps, j'aurais refusé de la saisir avec indignation. Mais plus maintenant. Après tout, à la fin de l'année dernière, nous nous sommes embrassés langoureusement en pleine cantine devant tout le lycée, alors je ne vois pas qui pourrait encore ignorer notre relation. Les nouvelles vont très vite, dans cette bourgade. Les loups sont de véritables petites pipelettes.

— On est bien, hein ? me demande Martin en serrant mes doigts.

Je hoche la tête, partageant ce bref sentiment de béatitude. J'aimerais rester bloqué sur cette journée pour toujours. Ou, du moins, pour quelques jours supplémentaires.

J'entame ma dernière année de lycée demain, et cette perspective ne me réjouis pas spécialement. Cette rentrée sera certes moins stressante que celle des vacances de Pâques de l'année dernière, après notre déménagement. Au moins je connais des gens, maintenant. Comme Émile, un voisin de mon âge très sympathique (qui est aussi un loup-garou, comme d'ailleurs beaucoup de lycéens et même le proviseur). J'essaie de ne pas penser au fait que Martin ne sera plus avec moi et que je ne pourrai plus le croiser dans les couloirs ou manger avec lui à la cantine. Mais, bien sûr, mon cerveau ne cesse de se remémorer ce fait.

La forêt est plus belle que jamais en cette saison lorsque nous finissons par l'atteindre. J'adore la façon dont les arbres remplis de feuilles étendent leurs branches vers le ciel. Ils sont si denses que le soleil à bien du mal à faire passer quelques rayons et une douce pénombre y règne.

Nous commençons par suivre le chemin principal, toujours main dans la main, en zone neutre. Nous ne parlons pas. Avec Martin, le silence n'est jamais gênant. C'est l'une des choses que j'aime chez lui. Nous pouvons bavarder pendant des heures, puis nous taire longuement sans que cela soit désagréable.

Lorsque nous entendons un murmure d'eau lointain, nous bifurquons sur la gauche. Nous sommes passés par là si souvent cet été que nous avons commencé à créer une sorte de piste si visible que même moi je la remarque alors que je ne suis pourtant pas très doué pour l'orientation en forêt, probablement parce que j'ai grandi à Paris.

L'alpha lâche doucement ma main. Nous sommes désormais suffisamment loin pour nous transformer et continuer le chemin sous notre forme de loup, ce qui sera plus rapide.

Nous nous déshabillons rapidement. À force de l'avoir fait sans arrêt ces derniers temps, je ne suis presque plus gêné, même quand je surprends le regard de Martin fixé sur moi. Je fronce tout de même les sourcils et il détourne aussitôt les yeux, un petit sourire idiot aux lèvres.

— Pervers..., je marmonne, et son petit sourire ne fait que s'accentuer, comme si "pervers" était un mot doux (ce qui n'est bien sûr pas le cas).

Le loup et moi 2 [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant