Chapitre 3 - Héritages invisibles

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JUIN

En écoute : AJR - The Good Part

Alvize

Ses cousins avaient quitté le manoir au compte-gouttes à la fin de la soirée. Il avait pu échanger quelques mots avec Giosuè, qui venait de passer plusieurs heures avec son père pour discuter du mariage. Giosuè avait ensuite assuré à Alvize que sa décision était prise, qu'il se marierait, mais qu'il partageait toutefois la prudence de son cousin.

- Restons quand même sur nos gardes, avait-il lancé avant de s'éloigner.

Avant de rentrer chez lui, Alvize décida de fumer une dernière cigarette, assis sur les marches de la véranda.

Son oncle Amadeo le rejoignit et s'assit à côté de lui en silence, tandis qu' Alvize lui tendait une cigarette.

Après quelques minutes, Amadeo sourit et, le regard dans le vide, déclara doucement :

- Je ne peux jamais m'empêcher de penser à mon grand-père quand je suis dans cette véranda.

Alvize le regarda, intrigué. On parlait rarement d'Amadeo senior dans la famille autrement qu'en lien avec les affaires, puisque c'était à lui qui avait fondé l'Empire d'Erèbe. 

- Un jour, je devais avoir quoi ... dix ans ? A tout casser. Je rentrais de mon entraînement de foot, et j'avais décidé de couper par le jardin au lieu de passer par la porte d'entrée. J'ai retrouvé mon grand-père ici, dans la véranda baignée par le soleil, le regard dans le vide en train de se balancer sur sa chaise à bascule. Je me suis assis à côté de lui, sans vraiment savoir pourquoi, et puis il a pointé du doigt les fleurs sur la table basse. Il m'a demandé si je savais de quelle variété il s'agissait. Je n'en avais aucune idée bien sûr, je savais simplement que c'était les mêmes tous les dimanches. Il m'a répondu : « Des pivoines. Les fleurs préférées de ta grand-mère ».

Amadeo tira sur sa cigarette.

- Ça m'a coupé le souffle. Je m'en souviens comme si c'était hier. Comparé à d'autres souvenirs plus récents, c'est comme un film en haute définition dans ma tête. Il ne me lâche pas. Ou peut-être que c'est moi qui m'y accroche, je ne sais pas.
C'est fou, je me souviens même des plus petits détails. Je me rappelle le regard de mon grand-père, je revois ses poils de moustache qui dépassaient un peu par rapport aux autres, je me souviens que mes vêtements me collaient à la peau après l'entraînement. Et aussi, je me rappelle de l'odeur des pivoines. Je crois que je m'en souviendrai toute ma vie.

Alvize avait arrêté de fumer et observait son oncle, qui ne s'était jamais livré à lui de cette manière.

- Tu sais pourquoi je m'en souviens ? Il n'attendit pas sa réponse et ajouta : parce que jamais, ja-mais, mon grand-père ne parlait d'Erica. Il lui arrivait souvent de quitter la pièce si quelqu'un osait mentionner son prénom. Un jour, je l'ai même vu mettre une rouste à mon père, qui avait osé dire que sa femme lui rappelait parfois sa mère. Chez nous, Erica D'Amasio était sainte parmi les saintes, et prononcer son prénom, évoquer son souvenir, c'était blasphémer. Ce jour-là, quand il m'a parlé d'elle, j'ai eu l'impression que j'étais entré dans une faille spatio-temporelle, que j'avais atterri dans un monde parallèle où mon grand père n'était pas si rongé par la douleur et la culpabilité qu'il pouvait honorer la mémoire de sa femme, qu'il pouvait en parler sans que naisse en lui l'envie de mettre le monde à genoux.

- Et qu'est-ce qu'il s'est passé ensuite ? Il a continué de parler d'elle ?

Amadeo éclata de rire.

- C'est moi qui lui ai demandé ! Avec le courage qu'ont les enfants parce qu'ils pensent que leurs parents les aiment trop pour leur faire du mal. Je savais qu'il était dangereux, mais j'étais presque sûr que mon grand-père ne lèverait pas la main sur moi. J'ai osé lui demander comment elle était.

L'Empire d'Erèbe [Mafia Romance]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant