Chapitre 2 : Totem foudroyant

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Les totémisés, ces élus des cieux, selon ce qu'il avait réussi à apprendre ; Victor, avait une petite idée de ce qui l'attendait si le sort venait à lui être favorable. Un totem se matérialise sur un élu par une marque schématique d'un animal sur son corps, cette marque ne s'efface jamais, même après la mort, et elle confère à l'individu qui la possède des pouvoirs de psyché liés à l'animal qu'elle représente. Cela a souvent pour effet de développer une forme hybride que son détenteur peut maitriser de mieux en mieux avec l'expérience. Il est à noter que l'animal totem correspond presque toujours à la personnalité de son détenteur.

Mis à part ces quelques informations, les résultats d'une totémisation sont si aléatoires qu'il faut raisonner au cas par cas pour gérer cette situation avec l'individu concerné. C'est en se remémorant ces maigres connaissances que Victor s'éveillait. Il faisait durer l'instant de torpeur entre le sommeil et l'éveil dans un sentiment d'appréhension quant à la possibilité que son souhait ne se réalise pas. Il ouvrait grand les yeux, quand une chose le frappa, les draps de son lit étaient mouillés, l'été était encore loin et cela faisait longtemps qu'il n'avait plus à se soucier de fuites nocturnes inopinées ; quelque chose d'étrange s'était produit, un bon signe selon Victor.

Après un léger effort pour s'assoir sur son lit, le fait d'être englué dans ses draps compliquant légèrement la chose, il jetait un regard sur ces mains. Elles avaient pris une teinte légèrement verdâtre, recouvertes d'un liquide peu ragoutant ressemblant à de la bave et caractéristique la plus étrange, elles étaient palmées. Cette fois, Victor en était sûr, il avait obtenu un totem, un large sourire se dessinait sur son visage. L'euphorie du jeune garçon prenant largement le dessus sur la répulsion logique que devrait procurer la transformation de ses mains en palmes et la découverte d'une substance aqueuse en abondance dans son lit. Fort de cette bonne nouvelle, il lui fallait maintenant répondre à d'autres questions ; de quel animal peut provenir ces aptitudes, comment en tirer le meilleur parti, et surtout, comment faire en sorte que ses habits ne lui collent plus après comme s'il revenait d'une journée entière de travail dans les champs lors d'une canicule ?

Il se levait méthodiquement, en prenant son temps pour retirer sa peau visqueuse de toutes les couches de tissu qui parsemaient son lit. Même si maintenant il avait un totem, il regrettait que celui-ci soit aussi répugnant. Après être parfaitement décollé, il se dirigea instantanément vers le miroir de sa chambre pour confirmer une fois de plus sa pensée et constater l'étendu du massacre du physique dont il est si fier. Ce qu'il vit dépassait ses attentes, si bien qu'il ne savait pas quoi en penser. Pour commencer, sa tête s'était légèrement aplatie, son nez n'était constitué maintenant que de deux fentes plates, il avait le même teint vert que ses mains, les oreilles collées à la tête. Pour avoir bien observé les poissons, il constatait avec stupeur, qu'il lui avait poussé des branchies. Lorsqu'il ouvrait la bouche, il pouvait remarquer que ses petites dents s'étaient transformées en crocs, faisant également penser à une mâchoire de poisson. Faisant un tour sur lui-même pour voir si sa silhouette restait inchangée, l'intuition qui l'avait pris un peu plus tôt se confirma ; une petite queue à l'allure reptilienne prolongeait la base de sa colonne vertébrale. Et pour terminer ce constat, en faisant un léger mouvement brusque dû à toutes ces surprises, un petit éclair se fendit du bout de sa queue jusqu'à son doigt, lui arrachant un petit gémissement de douleur et de surprise.

Après s'être remis de cette expérience, il laissait son attention se porter sur la fenêtre, il lui semblait avoir entendu un léger bruit, qui ressemblait à des coups sur le carreau, ce qui serait bien étonnant. Après une observation plus approfondie, son intuition s'avérait juste. Tille à hauteur de la fenêtre essayait de capter son attention. Elle était agrippée au mur extérieur, cela lui était possible, car il y a de cela deux mois, elle aussi avait reçu un totem. Le sien correspondait à une sorte de pieuvre, maintenant il lui était possible de transformer ses doigts en tentacules capables d'une force prodigieuse, tant et si bien qu'évoluer sur le mur de sa maison à la seule force de ses doigts sans efforts était pour elle un jeu d'enfant.

Dès qu'il comprit la situation, il ouvrit la fenêtre pour laisser entrer son amie. Tille lui faisait bonjour de la main et le questionnait par un léger mouvement de la main sur comment il se sentait.

La jeune enfant ne parlait plus depuis l'âge de six ans, l'on suppose que son mutisme était dû à un traumatisme, mais quel qu'en soit la raison, elle ne le communiqua à personne pas même à Victor et Pilou.

Victor lui parlait en faisant attention à bien articuler pour que son amie comprenne le maximum d'information possible : "Salut, je me suis réveillé comme ça, je suis moche, mais je pense qu'au moins maintenant j'ai un totem".

Tille opinait légèrement de la tête pour confirmer ses dires.

"Maintenant, tu peux m'expliquer comment tu as réussi à reprendre ton apparence normale, je ne peux pas rester tout poisseux avec cette tête de merlan frit quand même".

Tille commençait à lui expliquer avec des gestes de mains le fond de sa pensée, elle s'aidait depuis peu de ses nouveaux tentacules pour mieux mimer et se faire comprendre. Ce qui Victor réussi à comprendre fut : "J'ai eu beaucoup de mal au début, mais le vieux Bernard m'a beaucoup aidé, il faut aller le voir le plus vite possible, il te dira sans doute tout ce que tu dois savoir".

"D'accord, mais avant, il faut que je le dise à ma famille, ça risque de leur faire un choc".

Pour toute réponse, Tille lui tendait un léger sourire empreint de douceur et de joie partagée.

Suite à leur discussion, Victor et Tille sortaient doucement de la chambre, pour essayer de ne pas réveiller Matia, que la transformation pourrait perturber. La malchance leur souri, car la petite fille qui venait de sortir de sa chambre en croyant voir un monstre, poussait un cri qui retentissait dans toute la maison, tout en laissant échapper un torrent de larmes.

Arnor et Venna se mirent sur pied le plus vite possible, en voyant la créature qu'il ne soupçonnait pas être Victor, le mari dégainait sa hache de travail pendue au mur au cas où il aurait à se défendre. Sa garde se détendit lorsqu'il aperçut Tille légèrement cachée par la rambarde de l'escalier qui descendait au rez-de chaussé.

"Tille, ne t'approche pas de cette créature, il peut être dangereux" ; avertissait Arnor, tandis que de sa main libre, il plaçait sa fille derrière lui en un réflexe de protection.

Pour toute réponse, elle prit le Victor gluant dans ses bras en un câlin affectueux, en leur faisant signe qu'il n'y avait aucun danger.

Il s'imposait maintenant à Victor de prendre la parole, ce qu'il fit : "C'est moi Victor, je suis totémisé maintenant, mais je ne sais pas trop en quoi".

Suite à ces paroles, les parents commençaient à se détendre, tout en se remémorant que cette situation était à prévoir.

"Désolé fiston, sur le moment je ne me souvenais plus que ça pouvait arriver, installez-vous dans la cuisine pendant qu'on rassure ta sœur".

Dans le but de détendre l'atmosphère, Victor lança : "Bon, allez, maintenant on peut tous se faire un bon gros câlin baveux".

Cette remarque provoquait l'hilarité de chacun, mis à part Matia qui semblait encore sous le choc de la révélation. Venna qui jusque-là était restée en retrait dit alors : "Peut-être plus tard, je vais vous préparer un bon petit déjeuner, après on ira voir Bernard, il va t'aider, après tout il a bien su comment faire avec toi Tille".

Victor en amorçant sa descente constatait une fois de plus la difficulté de se mouvoir en étant recouvert du liquide visqueux auquel il était loin d'être habitué. Tille s'accrochait à son bras avec toute la force des ventouses dans ces mains pour l'empêcher de perdre l'équilibre ; tandis que Matia avait enfin fini de sangloter. C'est à ce moment-là que Victor perdit une nouvelle fois l'équilibre, entrainant Tille dans sa chute qui s'acheva douloureusement en bas de l'escalier. Il se consola en constatant qu'il avait au moins réussi à arracher un rire franc à sa petite sœur.  

Cœur sauvage : AubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant