Until the end

☯ ƇӇƛƤƖƬƦЄ 9 : Un exemple à ne jamais suivre

Lorsque je refait apparition dans le salon aux côtés de Sky, mon regard croise celui de Noé. Un frisson parcourt mon échine lorsque ses yeux semblent me sonder.

Est-ce de la haine que je perçois, ou simplement une peur totalement justifiée face à l’image que je renvoie ?

Je me sens comme une étrangère lorsque je me retrouve face à lui. Chacun de ses mouvements me laissant dans l’incertitude. Ce silence entre nous qui dure depuis que j’ai pris la décision de m’éloigner de mes parents, reste chargé de non-dits, et je ne cesse de me remettre en question.

Ai-je été une aussi mauvaise grande sœur en prenant des décisions bénéfiques pour ma propre santé mentale ?

Le léger bruit produit par Sky me ramène à l’instant présent et parvient à capter mon entière attention.

— Avec l’incident qui a eu lieu cette nuit, je me sens dans l’incapacité de rester ici… Alors, comme promis, nous allons nous rendre au domicile de Maël pour tenter de retrouver ses parents.
— Merci, souffle le principal concerné comme-ci il venait d’être libéré d’un poids.

Mais alors que tous semblent déjà ravis à l’idée de quitter l’appartement, je décide d’intervenir.

— Je ne veux pas faire ma rabat-joie, mais on s’y rend comment exactement ? Personnellement, je ne souhaite pas tuer l’un d’entre vous parce qu’il aura été croqué par un de ces trucs dehors ! déclarais-je maladroitement avant de prendre conscience de mon manque de tact face à Sky. Désolée… Je ne voulais pas dire ça…

La jeune femme acquiesce. Malgré son silence, je me rends compte que son corps est tendu, tant elle semble se canaliser.

— Il nous faudrait une voiture ou des vélos, intervient Alexandre.
— Enzo a… Enfin… La voiture d’Enzo est garée dans le parking de l’immeuble. En revanche, je n’ai pas mon permis, nous révèle-t-elle en sortant une clé d’une petite boite jaune.

Tandis que tout le monde semble réfléchir à une autre solution, je remarque que mon frère me fait un léger signe de tête pour me désigner la main de Sky.
Ayant compris son message silencieux, je m’avance vers elle et saisit la clé du véhicule.

— Il nous faudra emporter des rations ! Prenez aussi tout ce qu’il reste dans la boîte à pharmacie. Et surtout, prenez de quoi vous défendre, énumère-je, prenant le contrôle de la situation.
— Préparez tout ça ! Et toi Éliana, suis-moi ! Je veux examiner la blessure à ton dos avant de partir, me dit Sky en me faisant signe de la suivre jusqu’à la chambre.

Lorsqu’elle referme la porte derrière nous, un pressentiment grandit en moi. Je réalise qu’elle a trouvé un prétexte pour s’isoler, loin des regards des garçons. Je la vois s’appuyer contre la porte en bois, se laissant aller sous le poids de ses émotions. Ses larmes commencent à couler, silencieuses mais puissantes et je comprends que le décès de Enzo l’atteint plus qu’elle ne veut le laisser croire.

Mon cœur se serre en la voyant ainsi. Je ne regrette aucunement mon acte qui visait à tous les protéger, mais je ne reste pas insensible à sa détresse intérieure.

Je comble la distance entre nous et passe mes bras autour d’elle pour la réconforter.

— C’est…difficile…
— Je sais que je t’ai dit que tes émotions ne doivent aucunement être une barrière pour ta propre survie… Mais, je m'interromps, posant avec douceur mon index sous son menton, parfois, il est nécessaire de se laisser aller quand ça ne va pas.

Elle pouffe nerveusement à mon conseil, ancrant son regard dans le miens.

— Tu le fais toi ? Tu te laisses submerger par tes émotions ? demande-t-elle, légèrement irritée par mon changement de discours.
— Non…
— Alors, pourquoi tu me donnes un conseil que tu ne suis pas toi-même ?

J’esquisse un léger rictus face à sa réaction.

— La seule fois où j’ai laissé mes émotions prendre le dessus, ça ne s’est pas bien terminé, réponds-je en grimaçant. Pour la simple et bonne raison, que j’ai grandi en pensant que c’était normal de ne jamais parler de ce que je ressentais.
— C’est censé me rassurer ce que tu dis ?
— Je n’ai jamais cherché à être rassurante en te disant cela. Je veux juste que tu comprennes que je ne suis pas un exemple à suivre… Je ne l'ai jamais été… Alors peu importe à quel point j’ai l’air d’être impassible face aux événements, tu ne dois jamais penser que ma manière d’agir est normale et saine !

Je la regarde respirer profondément, ses larmes se tarissant lentement. Son souffle devient plus régulier alors que la tension dans ses épaules s’apaise. Ma réponse semble la soulager.

— Plus je discute avec toi, plus j’ai l’impression de mieux comprendre le comportement de Noé, me dit-elle d’une voix plus calme.
— Comment ça ?

Elle hésite, détournant le regard.

— Il s’avère que t’es pas la seule à avoir dû tuer quelqu’un…

En apprenant cela, un froid glacial s’empare de moi.

— Noé avait fui le lycée avec sa petite amie… Il m’a confié l’avoir tué quand elle a été mordue. Ça s’est passé quelques heures avant qu’on le retrouve dans le bâtiment.

Mon petit frère, celui que j’ai toujours cherché à protéger, celui que j’ai constamment tenu éloigné des problèmes familiaux, n'était plus le même. Les mots de Sky résonnent dans ma tête comme un écho douloureux, et je me sens comme si le sol s'effondrait sous mes pieds.

— Peu importe ce qui vous a éloignés l’un de l’autre…
— N’en dis pas plus, s’il te plaît ! m’exclame-je afin de l’interrompre.

Je sens une vague d’émotions contradictoires m’envahir malgré ma vaine tentative de les ignorer. Je réalise que derrière son air confiant, se cache un monde de souffrance et de peine que je n’avais jamais soupçonné. Cette prise de conscience me laisse un goût amer.

Finalement, moi qui me posais sans cesse la question de ce qui me faisait si mal en étant près de mon frère, j’ai enfin trouvé la réponse. Ce qui me brise le plus lorsque je croise son regard, ce n’est pas la haine que j’y perçois. Mais simplement, le fait d’y voir mon reflet. On est pas si différent que ça, lui et moi.

Nos choix nous conduisent inévitablement à ressentir de la souffrance, c'est pourquoi nous ne nous comprenons plus. Comme si, à travers nos décisions, nous cherchions une excuse pour nous blâmer nous-mêmes.

Le danger peut surgir de tous les côtés.
Il peut être en nous… Où, nous le sommes peut-être…