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Le réveil est difficile. Ma tête me fait atrocement mal. Mes yeux peinent à s'ouvrir. Cette lumière qui m'apaisait tant la veille, me semble difficilement supportable aujourd'hui. Je redoute de m'étirer, craignant de ressentir d'atroces douleurs au niveau de mes membres. Ce réveil est comparable à un lendemain de cuite ; la bouche pâteuse, les yeux globuleux, le corps épris à de nombreuses contractures musculaires, et l'esprit embué. Je me demande même si je ne vais pas avoir la nausée.
Recroquevillé sur mon lit d'hôpital, j'attends. J'attends que quelqu'un m'explique ce qui s'est passé, et me dise enfin où je me trouve. J'imagine alors plusieurs scénarios, et aucun d'entre eux ne me consolent. Je suis dans une euphorie intellectuelle. Mon cerveau est la proie d'image invraisemblables qui s'entrechoquent à toute vitesse. J'ai beaucoup de mal à me concentrer. Et puis, des murmures viennent perturber mes réflexions. Ensuite, ce sont des pas qui s'invitent, lourds et rapides.
Bruno surgit alors dans mon dos, il s'approche prêt de moi et s'accroupit pour que son regard croise le mien. Je peine à ouvrir les yeux. Pourtant, après un effort, j'aperçois mon ange gardien. La quarantaine bien tassée, le visage rond avec une barbe naissante grisonnante qui lui procure un faciès enjôleur, il est vêtu d'un pantalon blanc et d'une marinière du même ton. Sa silhouette est encore un peu floue mais son aura me rassure. Il m'observe sous toutes les coutures. Suis-je l'objet d'expériences médicales top secrètes ? Ou bien va t-il m'inviter à le suivre dans un univers vaporeux, blanchâtre, où les nymphes volent d'un nuage à l'autre en déployant leurs larges ailes ? Suis-je au Paradis ? J'en doute. Tout du moins, je sais aussi ne pas mériter un tel privilège. Et puis, l'image d'un paradis terrestre serait contradictoire avec mon idéologie.
L'homme m'observe. Je crois qu'il est gêné. Il me donne l'impression de chercher ses mots, comme s'il ne savait pas quoi me dire ou comment aborder la conversation. Je le sens soucieux. Pour quelle raison ? Ce qu'il a à me dire est si terrible ? Au bout d'un instant, il entrouvre les lèvres et laisse échapper quelques mots.
Monsieur Bellanger. Je m'appelle Bruno. Savez-vous où vous êtes ? Vous rappelez-vous ce qui vous est arrivé ?
La douceur de sa voix me rassure.
Ses questions, en revanche, ont le goût de m'énerver car je ne me rappelle rien, pour l'instant. Je suis sujet à une amnésie que j'espère, et imagine, temporaire. Face à mon inquiétude il commence alors à me raconter, doucement et calmement sans brûler les étapes, et m'emmène malgré moi dans un périple que je peine à croire.
Trois jours,
C'est le temps qu'il m'a fallu pour récupérer de mes exploits.
Bruno m'explique que j'ai beaucoup dormi et que, de temps à autres, j'ai eu des instants d'éveil durant lesquels il n'apparaissait, malheureusement, pas la moindre once de lucidité. J'étais soumis à de violentes visions, des hallucinations. Et qu'ils ont dû, pour mon bien être mental, me prescrire et m'administrer des anxiolytiques et autres antidépresseurs. Ces mots ont effets de stimulants auprès de mon esprit qui fourmille de questions. « Qu'ont-ils fait de moi ? », « Pourquoi m'avoir ainsi drogué ? », « Où suis-je ? », « Qui suis-je ? », « Pourquoi me parle t-il de médicaments ? », « Qui est-il ? ». Tout ce bouscule. Mon souffle s'accélère. Bruno me prend la main et, d'un calme olympien, tente d'extirper ces angoisses à l'aide d'un « chut ! » qui me tranquillise.
Mon corps est bel et bien là mais mon esprit, bien que mes yeux soient grands ouverts, semble perdu dans une autre dimension, comme égaré aux confins d'un univers qui m'est propre. Je repose dans ce monde tel un mort-vivant qui cherche une échappatoire pour ne plus réintégrer cette réalité en laquelle je ne crois plus.
Mais bon sang ! Que s'est-il passé ?
Des bribes d'images, de scènes viennent alimenter mes pensée.
Durant ces trois journées je me suis efforcé de croire que je'étais dans l'une de ces antichambres qui conduisent inexorablement aux frontières de la mort, sorte de purgatoire avant d'entamer une éternité d'errances machiavéliques où mon âme se perdrait aux abords de l'Enfer. Bien que catholique peu croyant et encore moins pratiquant, je me suis néanmoins rattaché à penser qu'il se doit manifestement d'y avoir une force naturelle et supérieure à tout ce que l'on ose imaginer, une force qui m'aura sauvé des bêtises commises ces dernières heures.
Je me sens perdu dans ce monde inconnu et empli d'hostilités.
J'espère être mort.
Mais il n'en est rien.
Je comprends que mon inconscient me joue un mauvais tour, et que mes idées, mes convictions, mes valeurs propres se mêlent dans un tourbillon nauséabonde et dévastateur. Mon cerveau va-il exploser ? Car les impulsions électriques qui s'entrechoquent dans mon esprit génèrent une abondance de sécrétions d'adrénaline qui spolient toutes réflexions objectives. Le Bien ou le Mal, tout se mélange. Je n'arrive même plus à penser à moi, alors qu'en est-il des autres. Car je ne suis pas seul, je suis aussi un mari et un père. Pourtant, je ne pense ni à ma charmante femme, ni à mes propres enfants. D'ailleurs, je ne me rappelle que partiellement ce qui s'est véritablement déroulé durant ces trois jours. Assommé, j'ai dû passer le plus clair de mon temps à sommeiller et le reste à laisser vaquer mon esprit à ne rien penser. Peut-être me suis-je imaginer me retrouvant dans une salle de cinéma, assis au milieu de la pièce, seul, face à un écran d'une blancheur douillette et rassurante. Mon esprit s'est peut-être bloqué sur la position « PAUSE », et n'a pu sécréter la moindre pensée, la moindre crainte. Car la peur est certainement le sentiment qui m'angoisse le plus. Depuis que je suis tout jeune j'ai peur. J'ai peur de tout et de rien. J'ai eu peur à chaque fois que je me suis réalisé et que j'ai grandi. J'ai peur à chaque fois que quelque chose de nouveau vient perturber ma petite existence. La peur m'a même habitée lors de journée inoubliables telles que mon mariage et la naissance de mes filles. La peur se tapie au plus profond de moi, elle sommeille, et se ravive aux moments où je m'y attends le moins. Etrangement, le seul instant où elle aurait dû être en effervescence, lorsque je décidais de tout quitter, elle n'est pas apparue. Comme si elle savait que ce que j'envisageais était ce qu'il y avait de mieux pour moi.
Durant ces trois journées je n'ai pensé à rien. J'ai juste subis des flashs hallucinogènes. Désormais, je m'inquiète sur ma destinée, et sur l'endroit où je me trouve.
Je ne suis ni en Enfer, ni dans l'une de ces succursales du Purgatoire, et encore moins au Paradis.
Alors quoi ! Suis-je enfin mort ?
Non, je suis vivant...
...encore et toujours vivant.
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CHAMBRE NUMERO SIX
General FictionSuite à une lourde dépression, Christophe Bellanger, marié et père de deux enfants décide d'attenter à ses jours. Seulement voilà, sa tentative s'avère un cruel échec. Interné dans un centre de psychiatrie pour adultes il découvre un monde où réside...