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Une fois mes filles déposées à l'école, je trace ma route empruntant des routes communales que je ne suis pas sensé pratiquer, et où mes proches n'aient pas idées de venir me récupérer. Depuis quelques jours déjà je silionne les routes du département qui me sont inconnus afin de repérer un endroit paisible où je pourrais partir sereinement, un sanctuaire où mon âme et mon esprit trouveront le repos éternel. Un beau jour, j'ai trouvé ce havre de paix. C'était un lieux splendide et d'une infinie beauté. J'ai tout de suite su que ce serait là. Je n'ai pas cherché à savoir pourquoi, je l'ai juste ressenti au plus profond de mes tripes. Ce sera dans ce bois et pas ailleurs. C'est décidé.
Dès lors, je n'ai plus de famille, plus de femmes ni d'enfants, plus d'amis, plus de connaissances ou de relations, je suis seul et perdu dans un gouffre angoissant et délirant où toute réalité est altérée par de sombres pensées. Je suis alors convaincu d'être habité par une mission divine, un acte absolu et indispensable à la libération de mon esprit endolori par le Mal, le Diable. Ma lucidité s'estompe progressivement. Au point où je suis prêt à accepter d'être l'objet d'un exorcisme, à condition que mon mal-être disparaisse.
J'ai repéré, dernièrement, ce bois disposant d'une jolie clairière à près de 40 kms de mon domicile ; au loin et au calme.
Une fois arrivé sur place je me gare à l'orée de la forêt, puis saisi le matériel nécessaire à ma transformation.
Mon sacrifice débute.
Je dispose de tout un panel de photos de mes enfants et de mon épouse, soigneusement sélectionnées quelques jours plus tôt.
Elles représentent des instants heureux, des instants de vie.
Je me vois encore en train de découper des lamelles de scotch, et de coller ces clichés photographiques à même mon corps. Déshabillé, presque nu, je me placarde entièrement de ces visions où sourires et gaîté sont omniprésents. Je m'enduis l'intégralité de mon enveloppe corporelle d'images joyeuses de mes pitchouns. Cela a un effet doux et sécurisant. Tel un lait corporel, ces photos me protègent de toutes agressions nocives. Je viens d'enfiler une combinaison bariolée de scènes heureuses et joyeuses. Je me sens si bien que l'air frais qui, un instant plus tôt, me flagellait les membres, ne vient plus picoter mon épiderme. A l'ombre des grands arbres je m'imprègne de l'humidité qui s'évapore des mousses, lichens et autres végétaux verts et spongieux. Au fur et à mesure que mon corps disparaît sous les photos je m'éloigne un peu plus. Je sombre davantage dans la dépression. Mon corps est désormais un patchwork vivant.
Je ne cesse d'implorer le Seigneur Tout Puissant, mais il n'y a aucun signe, je suis seul et condamné à en finir. Même Dieu a fini par m'abandonner, il faut dire que je n'ai jamais sollicité et cru véritablement en ses ferveurs. Il me paraît donc normal qu'il m'ignore même dans cet instant de solitude et d'incertitude.
Les animaux ont disparus, il règne dans ce bois un atmosphère mortuaire. C'est une ambiance que j'ai déjà connus en visitant le village d'Oradour-sur-Glane (village anéanti et rasé par la fureur hitlérienne en 1943, où plus âmes ne vivent). Bizarre. J'ai l'impression d'être le seul à occasionner des sons. Un peu comme si je posais les premiers pas sur une planète inhabitée. Du coup, je n'ose plus bouger de crainte d'être découvert. Personne n'est autorisé à s'inviter sur les lieux, je préfère être seul. Seul, face à mon destin.
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CHAMBRE NUMERO SIX
General FictionSuite à une lourde dépression, Christophe Bellanger, marié et père de deux enfants décide d'attenter à ses jours. Seulement voilà, sa tentative s'avère un cruel échec. Interné dans un centre de psychiatrie pour adultes il découvre un monde où réside...