Il se faisait dur de continuer. Parfois, Elisabeth avait de longs moments d'absence. Elle contemplait le mur ou le plafond, elle ne savait pas, ils se ressemblaient trop, et quand elle en ressortait elle ne se souvenait pas de ce à quoi elle pensait. Puis elle regardait l'écran qui lui brûlait les yeux même en mode Nuit, et se souvenait que si elle avait succombé à la rêverie, c'était parce qu'elle était en manque d'inspiration.
Elle commençait à se demander si c'était une si bonne idée que de se renfermer sur elle-même. Renfermée, elle l'avait toujours été, mais elle restait un être humain.
Et l'Homme est un animal social.
Quand son cerveau se mit à flotter dans les limbes de son esprit brumeux et hagard, quand la musique ne suffit plus à la nourrir et que l'air devint trop épais pour elle, Elisabeth glissa ses jambes amaigries hors du lit. Puis, précautionneusement, elle se redressa à la verticale. Comme à chaque fois qu'elle se levait de son séant pour utiliser les toilettes, elle sentit les muscles de ses cuisses se contracter douloureusement.
En saisissant son téléphone sur la table de chevet, elle renversa une boîte de médicaments. Mal refermée, celle-ci laissa s'éparpiller au sol les pilules trop vives. Après un instant de réflexion, Elisabeth posa son talon sur l'une d'elles, qui s'effrita sur la moquette. Elle aima bien la symbolique du geste, sans trop savoir pourquoi.
Pas à pas, utilisant le mobilier à sa portée, la jeune fille progressa jusqu'à l'ascenseur. Enfoncer le bouton fut un jeu d'enfant après son périple dans le couloir. Elle profita de l'attente de l'engin pachydermique pour plier et déplier ses doigts, faire craquer ses jointures, masser le creux qui se formait sur le côté de son petit doigt gauche, là où reposait son téléphone pendant qu'elle tapait ses ultimes pensées. L'ongle de son pouce droit était plus court que les autres, et son pouce gauche était un peu aplati au bout.
On ne sort jamais indemne de l'écriture.
Un son mélodieux interrompit ses exercices manuels. L'ascenseur était arrivé.
Au moment où elle rentrait dans la vaste boîte métallique vide, une infirmière l'interpella de l'autre bout du couloir. Elisabeth se retourna, les sourcils et le regard fixes.
Mince. Elle n'avait pas vraiment l'autorisation de se balader seule sans prévenir personne dans l'hôpital.
Sans un mot, Elisabeth laissa la porte automatique se refermer doucement sur l'infirmière qui trottinait vers elle. Le bruit que produisit le métal en l'emprisonnant lui rappela le couperet de la guillotine.
Elisabeth sentit son cœur accélérer dans sa poitrine trop faible. Un mauvais pressentiment l'étreignit.
La sensation du métal froid sous ses cuisses lui fit réaliser qu'elle se trouvait en position assise sous le panneau de commandes. Sa respiration était laborieuse, comme si l'air qu'elle inspirait n'atteignait jamais ses poumons. Les taches noires partout devant ses yeux, le coton dans ses oreilles, la sensation de vide à l'intérieur d'elle-même...
Elisabeth déverrouilla son téléphone et ouvrit son application d'écriture. Cinq minutes après, il se remit automatiquement en veille.
Elle n'avait pas tenu jusque-là.
FIN
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Elle, l'écriture, eux, la mort
SpiritualC'est l'histoire d'une fille qui va mourir, qui le sait et qui a l'air de s'en ficher. C'est l'histoire d'une fille qui a des parents, des amis, un téléphone portable et une dépendance à l'écriture. C'est l'histoire d'une fille qui a choisi ses comb...