Quand la brume tombe

Chapitre 10 : Origines.

Sur le chemin du retour, KiMoon lui envoya plusieurs regards en biais, comme s'il cherchait à entamer la conversation. NaSoon suivit ses propres conseils, et après une inspiration solennelle pour se donner du courage, accomplit enfin son devoir.

- Alors... ce que tu voulais me dire hier. Autre que le fait que tu sois vieux comme le monde, entonna-t-elle d'un timbre mutin, pas encore prête à faire tomber son masque farceur pour le sérieux que la discussion imposait.

- Ça t'embête, que je sois vieux ? s'enquit KiMoon.

- Non, t'es très bien comme t'es, répondit NaSoon un peu trop rapidement et avec un peu trop d'honnêteté.

KiMoon détourna le regard, avec ce que l'étudiante aurait juré être un sourire épanoui.

- Je n'ai jamais pensé que je vivrais aussi longtemps, continua-t-il finalement. Je n'ai jamais pensé que je devrais m'adapter à ce monde un jour...

- Tu n'avais jamais parlé à un autre être humain, avant moi, n'est-ce pas ?

KiMoon secoua la tête.

- Avec des gens de mon... espèce ? On va dire ça comme ça, expliqua-t-il. Mais je les ai quittés il y a tellement longtemps, j'ai bien du mal à me rappeler leurs visages...

- Eux aussi, ils sont reclus quelque part ?

- Je pense qu'ils n'existent plus. Je n'en ai jamais croisé, en tout cas.

- Je suis désolée..., murmura NaSoon.

Il avait perdu toutes les personnes qu'il avait connues, comme elle avait perdu l'être le plus cher à ses yeux.

- Mais ce n'est pas si mal, de voir un peu de monde, reprit KiMoon. Je suis plus curieux, depuis que je t'ai rencontrée. Tu as probablement un peu déteint sur moi.

- J'espère pour toi que tu n'hériteras pas de mon intelligence, ironisa NaSoon.

- Au contraire, j'aimerais voir le monde à ta manière.

NaSoon faillit s'arrêter dans sa marche, mais fit comme si ses mots ne l'atteignaient pas.

- Et je vois le monde comment, tu penses ?

- Comme une course, je dirais, répondit KiMoon. Une course prend fin, alors il faut tenir la cadence, s'attendre à toutes les possibilités, et s'enrichir de toutes les expériences possibles.

NaSoon se retint de lui demander de quel genre d'expériences il parlait, mais elle n'éprouvait pas le besoin de connaître la réponse, pour une fois. En revanche, elle fut impressionnée par la véracité de ses propos. 

Combien de fois s'était-elle fait la réflexion qu'elle devait se remettre de la mort de son cousin, profiter des expériences qu'il n'aurait pas la chance de découvrir ? Elle s'était poussée pour reprendre le cours de son existence qu'elle savait éphémère. Elle avait tout fait pour ne plus passer à côté de sa vie. 

Quand on était immortel, ou qu'on avait une longévité très importante, NaSoon ne savait laquelle de ses étiquettes convenait à KiMoon, on devait forcément voir le monde autrement. 

Le garçon avait eu tout le loisir de se cacher dans les bois, le temps ne s'écoulait pas de la même manière à ses yeux.

- C'était comment, ta vie, à ses débuts ? Fin quand t'étais pas encore un papy, l'interrogea NaSoon.

Maintenant qu'elle avait ouvert la porte des questionnements, elle sentait sa curiosité naturelle prendre le pas sur ses frayeurs.

- C'était... calme, répondit KiMoon, le visage froncé dans une expression incertaine. Personne ne parlait, on n'en avait pas besoin. Tout était si logique. Pas besoin de langue pour parler, pas besoin d'yeux pour voir. C'était si...