La nouvelle

170 10 145
                                    

L'eau tombe en continue sur la fenêtre. Il pleut depuis plus d'une semaine et la jeune femme qui regarde l'eau couler le long de la vitre espère qu'il ne s'arrêtera plus de pleuvoir. Quel est le sens d'un soleil éclatant lorsqu'il n'y a plus ou presque plus de joie de vivre ? Cela fait trois semaines qu'elle réside dans le manoir et regarder la pluie tomber est désormais son activité favorite. Elle ressasse dans sa tête divers plans de vengeance, fantasmant sur différentes façons de trucider le "Seigneur des ténèbres" comme l'appelle Rogue. Parfois elle s'en prend à une malheureuse mouche, venue se poser innocemment sur la vitre embuée et lui lance un Avada Kedavra. Le sortilège impardonnable n'a pas été difficile à maîtriser. Il lui a suffi de penser à Voldemort à chaque fois qu'elle le lançait. Rogue en a été interdit. Après ça il n'a plus été le même avec elle et par la suite elle l'a surpris à plusieurs reprises dans son fauteuil, la tête avachie entre ses mains. Elle s'est demandé vaguement s'il culpabilisait de l'avoir transformée en meurtrière de mouches. Mais au fond il devait bien savoir que ce n'était pas lui, mais Lord Voldemort lui-même le responsable de cette métamorphose.

-Les gens changent, lui avait-elle dit un soir, alors qu'ils étaient assis comme à leur habitude devant la cheminée. C'est étrange vous ne trouvez pas ? Vous pouvez croire des choses sur vous, en avoir la certitude et puis il suffit d'un mauvais contexte, quelques modifications dans votre vie, un alignement de planète défavorable que sais-je et vous voilà autre. Vous voilà transformé. Et toutes vos belles idées sur vous, toutes vos convictions se désagrègent comme cendre.

Rogue l'avait regardé avec quelque chose qu'elle n'avait pas su définir sur le moment. Plus tard elle réalisa que c'était de l'effroi car, à sa manière de la regarder, de lui répondre il y avait en plus de la distance habituelle une forme de méfiance. Ginny s'en était voulu de s'être livrée ainsi. Mais après tout, il était bien le premier à pouvoir comprendre. N'avait-il pas rejoint les forces de Voldemort sitôt sorti de ses études à Poudlard ? Et ne s'était-il pas rapidement repenti pour devenir l'espion de Dumbledore ? Ginny en ignorait la cause mais son instinct lui disait que cela avait vaguement avoir avec le repentir et la culpabilité. Même s'il était difficile d'imaginer son ancien professeur en pleine empathie, elle avait pu constater, à vivre à ses côtés, qu'il était loin d'être juste ce professeur sombre et sarcastique qu'elle avait côtoyé toutes ces années. Quand elle lui avait demandé de lui apprendre les sortilèges impardonnables, seulement l'Imperium et le sortilège de la mort - ne jugeant pas utile d'infliger celui de la torture - il avait consenti immédiatement.

Et voilà, aujourd'hui elle en était à sa quinzième mouche. Quinze sortilèges de la mort avaient été prononcés dans cette maison. Par quinze fois elle avait dit les mots terribles : Avada kedavra. Seulement ce n'était plus si terrible à ses yeux. Ses victimes n'avaient pas le temps de voir le coup arriver et mourraient instantanément, sans douleur. Et puis la maison était envahie de mouches.

Un bruit au rez-de-chaussée la sortit brusquement de ses méditations. Elle se leva et alla se placer derrière la porte prestement, à la manière d'un chat, la baguette serrée entre ses mains.

- C'est moi, résonna la voix grave de Rogue dans le vestibule. Ne bougez pas.

Ginny se détendit. Ils avaient établi un code. Si Rogue rajoutait "ne bougez pas" c'est qu'elle n'avait rien à craindre. S'il annonçait seulement "c'est moi" ou même rien du tout, elle devait se tenir aux aguets.

Ginny reprend sa place près de la fenêtre, les yeux rivés sur la porte. Enfin, Rogue apparait, les cheveux ruisselants, de l'eau coulant sur son grand nez et gouttant sur le tapis. Il retire sa lourde cape et la pose près de la cheminée qui crépite.

- J'ai ramené quelques provisions, dit-il de sa voix neutre, et accompagnant le geste à la parole il fait apparaître un plein panier de nourriture. La jeune femme hésite, entre se précipiter sur le chocolat qu'elle voit dépasser du panier ou harceler son bienfaiteur de questions. Finalement elle fond sur le chocolat et arrachant une pleine bouchée du papier à peine déballé elle demande :

Huis clos : Au creux de l'allianceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant