- Tu as l'air en pleine forme, Esmeralda*, constate Dame Elinor Dvorakova, Grande Prêtresse d'Altor la divine**, jouant de sa voix profonde.
Lorsqu'elle entend le surnom affectueux que lui a attribué dès sa prime enfance son plus grand modèle, Siloé oublie instantanément sa colère. Pendant quelques minutes, la sensation d'avoir été suivie, d'avoir été trompée, a fait naître des larmes de frustration dans les yeux de la jeune elfe. Celles-ci ont été bien vite balayées par la joie provoquée par la présence de cette femme exceptionnelle.
- Il semblerait en effet que la vie sur les routes soit bien plus facile qu'attendu. Je me demande si cela est lié au fait que les lapins semblent attirés par la pointe de mes flèches. Ou pensez-vous que ce soit là l'œuvre de notre déesse ? propose Siloé, d'une voix teintée d'ironie, mais dénuée d'une once d'agressivité.
Sa mentor esquisse un léger sourire. Cette insolence et ces grands yeux pétillants de malice lui ont tant manqué. Une fois passée la surprise de cette retrouvaille impromptue, les deux femmes se baladent jusqu'à dénicher une vaste clairière lumineuse, parsemée de petites fleurs jaunes et blanches, où s'installer quelques instants. Même si elle n'est plus en colère, Siloé attend les explications de la Grande Prêtresse. Elle sent monter en elle les premiers signes d'une crise d'angoisse à l'idée qu'Elinor compte peut-être la ramener de force au Temple. Pour quelle autre raison aurait-elle pu apparaître par surprise, usant de sa magie pour la retrouver, après un mois sans nouvelle ?
Le silence et l'air grave arboré par Dame Elinor n'arrangent rien. Mais quoiqu'il en soit, il n'en est pas question ! Cette page est tournée, elle appartient au passé ! Siloé est assez grande pour prendre seule ses décisions et agir en son propre nom ! Elle ne souhaite pas entrer dans la prêtrise, elle ne l'a jamais voulu, il existe tant d'autres moyens de servir sa déesse. Elle aura 18 ans dans quelques semaines à peine, elle n'est plus une enfant, nom d'un gnome ! Elle se sent plus que capable de voler de ses propres ailes.
L'elfe rumine cette dispute imaginaire dans un coin de sa tête, mais elle remarque tout de même que sa professeure l'observe. Son regard perçant est impossible à soutenir, cela a toujours fasciné la jeune barde. La prêtresse possède en effet des iris peu communs, l'un bleu, l'autre doré. Hétérochromie. Malédiction pour les uns, signe d'un grand pouvoir, d'un destin hors du commun, pour les autres. Son expression est indéchiffrable, mais ses prunelles désaccordées semblent soucieuses. Siloé s'apprête à exploser afin de briser ce silence par trop pesant, lorsque la magicienne lui coupe l'herbe sous le pied. Sur un ton toujours aussi calme, professoral, Dame Elinor déclare :- C'est le luth Siloé. Je te l'ai offert car tu es certes une joueuse incomparable, mais aussi parce que tant que tu le garderas près de toi, aucun mal ne pourra t'arriver. Je m'inquiétais pour toi mon enfant. Je m'inquiète toujours pour toi. Tu n'es qu'une tête brûlée, rien ne t'effraie. Tu fonces toujours sans réfléchir... Comment te laisser me quitter sans protection ? termine-t-elle avec douceur en plantant son regard dans celui de sa protégée.
Depuis le premier jour, cette puissante femme ressent pour la jeune elfe l'amour d'une mère. Il y a bien sûr une raison logique à cela, mais ce n'est pas tout. Siloé a toujours été une enfant exceptionnelle. Curieuse, insatiable, sensible et intelligente, avec un goût prononcé pour l'insubordination. Malgré ce défaut, son charme naturel et son sourire lui ont toujours permis d'éviter les punitions. Là où n'importe qui d'autre aurait été privé de son activité favorite après avoir élevé la voix contre une professeure ou bien désigné d'office pour l'une ou l'autre pénible corvée après une escarmouche avec un autre enfant, Siloé n'était, elle, presque jamais punie. Dame Elinor l'avait parfois soupçonnée d'user de sortilèges pour arriver à tromper son monde. Mais comment ? C'est elle qui lui avait quasiment tout appris. Et il était clair comme du cristal que ce que l'on apprenait au sein du Temple d'Altor la divine servait le bien, toujours. Aucune chance, aucun espace n'était laissé à la tromperie ou l'individualisme. L'explication était bien plus simple. Il s'avère simplement que l'enfant était très semblable à la Grande Prêtresse et elle dégageait le même genre de charisme. Ce charisme qui faisait fondre la méfiance comme neige au soleil, et transformait les mines suspicieuses en visages bienveillants, prêts à lui offrir le monde sans poser de question.
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Les voyages d'une Barde : le Luth et la Sorcière
Fantasía[PREMIER JET] Siloé a quitté la ville dans laquelle elle a grandit afin de vivre des aventures sur les routes et mettre ses talents au service des autres et d'elle-même. Barde de son état, elle espère bien gagner son pain en chantant les aventures...