Chapitre II. Une autre forme de vie (1/2)

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      C'est par un doux matin de printemps, un peu plus de 17 ans auparavant, que notre récit prend en réalité son départ, dès les premières lueurs de l'aube, devant les portes du Grand Temple de Karlova Pristav, la ville portuaire la plus importante du Royaume de Bohemia. Cette proximité avec la mer a dessiné le destin de la ville qui s'est imposée au fil des décennies comme l'un des atouts majeurs du royaume, attirant ainsi les foudres de Tábor. La ville détrônée, renvoyée à un rang secondaire, subsistait alors encore grâce aux ressources apportées par la montagne au creux de laquelle elle était nichée, mais elle était de plus en plus marginalisée, considérée comme maudite, après deux guerres provoquées et perdues.

      Construit près de sept siècles auparavant, le Grand Temple est un magnifique bâtiment aux tons sable et blanc, constitué de pierre et de marbre veiné d'or. Une rangée de dix colonnes, comme un témoignage d'une architecture des temps anciens, décore son parvis et met en valeur une majestueuse porte d'entrée principale. Un parc luxuriant entretenu par les prêtresses d'Altor déploie sa beauté derrière l'édifice. Une grande variété de fleurs y poussent tout au long de l'année, mais c'est aux mois de mai et juin que l'on y accourt le plus, afin d'admirer les magnifiques roses anciennes, tout autant que les tulipes aux innombrables coloris. Une mer aux nuances de jaune orangé, rose, pourpre, s'étendant à perte de vue. Le domaine est ouvert aux habitants de la cité tout au long de l'année, et certains d'entre eux s'y reposent quelques minutes tandis que d'autres arpentent ses allées fleuries des heures durant. Le Grand Temple se situe sur la Place des Victoires, la plus grande et la plus fréquentée de la ville, puisqu'elle accueille également le marché presque quotidiennement.

      Chaque jour, les habitants de Karlova Pristav peuvent ainsi profiter d'un moment de sérénité et d'introspection en pénétrant dans l'enceinte sacrée de la maison d'Altor et lui rendre mille grâces. Ils sont ensuite libres de vaquer à leurs occupations, ou plutôt d'effectuer leurs commissions au marché, en évoluant parmi les dizaines d'étalages colorés, attirés par de délicieux fumets s'échappant d'immenses marmites bouillonnantes, intrigués par les innombrables merveilles venues de terres lointaines et orientales, ou simplement à la recherche du pain le plus doré, des pommes les plus rouges, du vin le plus liquoreux.

Si un passé moins pittoresque décrit cette place comme étant celle destinée autrefois à la mise à mort des épouses accusées d'adultère, ou des veuves convaincues d'usage de sombre magie et autres empoisonnements, les descendantes de celles-ci semblent avoir trouvé le moyen de rendre honneur à la puissance invaincue de leurs aïeules. Le Grand Temple d'Altor la divine est tout simplement devenu le cœur de la ville, et ce cœur est régi par des dizaines de femmes de tous horizons. Chaque jour, les allées du marché irriguent ce cœur d'un flot continu de fidèles karlovians depuis ce qui semble désormais être la nuit des temps, ou plutôt... l'ordre des choses.

      Prêtes à embrasser une nouvelle journée bien rythmée par la vie de leur communauté, les deux prêtresses n'avaient pas vraiment imaginé trouver un minuscule nourrisson, peut-être âgé de quelques semaines à peine, à leurs pieds, en ouvrant les portes du Temple ce matin-là. Elle était pourtant bien là, cette fragile petite chose. Bien sûr, il était commun pour ces deux femmes de recueillir des enfants ayant perdu leurs parents bien trop tôt, comme cela se faisait ici depuis des lustres. Mais découvrir un bébé déposé aux portes du Temple ? Ce n'était plus arrivé depuis plusieurs décennies, depuis la seconde, et dernière assurément, terrible guerre des Táborites.

      L'enfant avait été installée dans un panier d'osier, soigneusement enfouie sous une chaude couverture de plumes. Elle avait un prénom, indiqué par une fine broderie ornant la couverture : Siloé. L'envoyée. Dotée d'une belle masse de cheveux verts comme l'émeraude, un signe distinctif plutôt inhabituel, Siloé gazouillait bruyamment dans son nid douillet, indifférente au drame que constituait déjà sa courte existence. Dans ce berceau improvisé, Mira, une elfe encore novice âgée d'une vingtaine d'années, aux longs cheveux blonds cendrés dont l'éclat contrastait avec la teinte sombre de sa peau, trouva ces mots :

Les voyages d'une Barde : le Luth et la SorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant