3) Jaune

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Jaune.

Jaune, c'est la couleur de plein de choses. Le soleil, les taxis à New-York, les voitures de la poste en France, le citron ou encore les Jonquilles. Jaune, c'est aussi, selon le monde Occidental, la couleur de ma peau.

J'aimerai me présenter en donnant mon prénom, mais mon maitre ne m'en a pas donné. Ce n'est pas mon maître d'arts martiaux, ou d'école. Je l'appelle comme ça, car c'est comme ça qu'il m'a dit de l'appeler, et aussi parce que c'est le seul à qui je peux parler, et celui à qui je dois obéir.

L'autre jour, une autre personne m'a parlé de ses parents, dont elle en avait un vague souvenir. Elle s'appelle Mai, mais je ne dois pas le dire, sinon le maître se fâcherait. Ses parents lui manquent. Du coup, le lendemain, lorsque la nuit s'est terminée, et qu'il fallait retourner au travail, j'ai demandé au maître si j'avais des parents. Alors il m'a donné deux coups de bâtons, puis m'a demandé qui m'avait parlé de parents, j'avais très peur, je ne voulais pas être privée du repas, alors je lui ai dis qui c'était, mais je n'ai pas prononcé le prénom Mai. Alors Mai a reçu cinq coups de bâtons, et lors de la pause manger de la journée, elle n'était pas là. A celle du jour suivant non plus d'ailleurs.

Elle ne m'en a pas voulu, je n'ai pas compris pourquoi. Alors moi je m'en suis voulu, beaucoup. Mai est plus grande que moi, elle a 17 ans, et elle dit que moi j'en ai peut être 10. Depuis, on est très proche elle et moi, elle m'a même dit que j'étais comme sa petite sur. Elle m'a aussi dit que pour éviter que cette situation se reproduise, il ne fallait plus que j'aille parler de ce qu'elle me raconte au maître, et il ne fallait plus qu'on soit ensemble lorsqu'il était là, parce que le maître, il n'aime pas les filles qui deviennent amies.

Je n'ai toujours connu que la chambre, avec ma paillasse, le seau, l'ampoule et la porte fermée à clef le soir par le maître, et le couloir sombre qui mène à la salle, où je travaille de 7h le matin à 7h le soir. A oui, il y a aussi la salle de pause, où l'on va à midi pour manger notre bol de riz et boire de l'eau. A 12h20, on repart dans la salle. 4 pièces, que je connais par coeur, comme les 49 autres filles avec qui je travaille. Quelques fois, une fille qui est devenue trop vieille ou alors qui a fait une grosse bêtise part, et le lendemain, une nouvelle petite fille arrive, et dort sur son ancienne paillasse.

Mai m'a dit que c'était sa dernière année ici, et que bientôt le maître allait se débarrasser d'elle, mais elle ignore quand exactement, ni comment. Elle m'a appris qu'on avait tous des parents, un père et une mère, et qu'ils avaient préféré nous vendre, plutôt que de nous noyer dans la rivière ou nous étrangler avec un torchon. Je lui ai demandé pourquoi, alors elle a commencé à m'expliquer qu'en Chine, le chef, Mao Zedong, a limité le nombre d'enfants par famille à un, et que les parents préfèrent avoir un fils plutôt qu'une fille, mais elle n'a pas pu terminer, parce que le maître est entré dans la salle de pause, pour nous dire qu'il était l'heure de retourner travailler.

J'aimerai voir à quoi ressemble mes parents. Et aussi, j'aimerai bien avoir un prénom, un vrai, comme Mai. Je ne sais pas trop pourquoi je suis là. Je ne me souviens de rien d'autre que d'ici.

Je me souviens qu'il y a longtemps, je rangeais des poupées dans des boîtes, mais depuis, je n'ai jamais rien fait d'autre qu'inspecter des canards jaunes en caoutchouc afin de voir s'il n'y a pas de défaut, leur peindre le bec en orange, les yeux en noir, puis les mettre dans des petites boites carrées en carton, que je plie par avance. Au début, je mettais un peu de temps pour terminer un canard jaune. Mais maintenant, je pourrai le faire les yeux bandés, je connais les mouvements par coeur. Souvent, la nuit, je rêve d'inspecter des canards jaunes, de les peindre et de les emballer.

Les nouvelles filles qui arrivent mettent du temps à faire leurs premiers canards jaunes, alors on les aide un peu, on leur explique comment gagner du temps. On doit être très rapide, parce que si l'on n'arrive pas à respecter le quota quotidien de canards jaunes, on est privé de pause de midi le lendemain, et donc on ne mange pas de la journée. Et des fois, quand le maître est de bonne humeur et qu'on a beaucoup dépassé le quota quotidien, on a le droit de prendre une deuxième fois du riz à la pause de midi le lendemain. Mai dit que normalement, on devrait avoir deux repas par jour, qu'on ne devrait pas travailler autant et que le maître n'a pas le droit de nous garder comme ça.

Moi ça ne me dérange pas trop. Ca ne m'a d'ailleurs jamais dérangé. Les petites pleurent deux ou trois jours lorsqu'elles arrivent, mais après elles ne pleurent plus jamais. C'est bien la preuve que ça ne les dérangent plus non plus. Mai est vraiment différente des autres filles du groupe, c'est la seule qui s'intéresse aux autres, qui vérifie qu'elles aillent bien. Parfois même, elle donne son bol de riz aux filles qu'elle trouve trop maigre. Et comme ça arrive souvent, c'est elle qui se retrouve à être la plus maigre. Elle me dit qu'elle est un peu comme la maman du groupe, alors j'essaie de comprendre ce qu'est une mère et ce à quoi elle sert, en observant Mai. Elle m'a raconté tout ce qu'elle sait et connait de ce qu'elle appelle "le monde extérieur". Pour elle, il y a quelque chose d'énorme derrière nos murs, quelque chose auquel on n'appartenait, et auquel on a été volé. Elle demande souvent au maître qu'il nous libère, alors le maître n'énerve, et lui donne des coups de bâtons.

Mai aura 18 ans dans une semaine. Elle ne mange presque plus, elle donne tout aux petites qui viennent d'arriver. On voit ses os partout qui dépassent. Elle a aussi des bleus un peu partout sur sa peau jaune, à cause des coups de bâtons.

Demain, Mai aura 18 ans, et elle pense qu'ils l'emmèneront demain, alors c'est ce soir que je lui souhaite joyeux anniversaire, puis je me couche. Soudain, quelqu'un m'appelle, et me dit de me réveiller. J'ai peur, mais je ne peux pas crier, la personne a sa main sur ma bouche. Je ne sait pas qui c'est, il fait tout noir dans la chambre. Finalement, la personne me dit que c'est Mai, et je suis rassurée. Elle me demande de la suivre, sans faire de bruit. Alors je la suis dans la chambre où toutes les autres filles dorment, elle me tient la main. On arrive à sa paillasse, elle la soulève, et je sens qu'elle saute dans un trou. Je la suis, on rampe dans un petit tunnel étroit, pendant peut-être 10 minutes, puis je sens de l'air froid, et du vent sur ma peau. Mai m'aide, je me retrouve debout, dans un endroit étrange.

- Bienvenue dehors ! J'ai creusé ce tunnel pendant presque 10 ans, et nous voilà libre ! On a réussi à s'enfuir, et maintenant, on peut avoir une vie normale, qui nous appartient.

J'ai peur, tout est grand. Il n'y a pas beaucoup de lumière, mais je vois des ombres immobiles. Cette sensation me rappelle des souvenirs flous. Je ne sais pas, j'ai peur, mais je suis également excitée de découvrir dehors.

Une lumière forte se brusqua sur nous, une alarme retentit, et deux hommes se mirent à courir vers nous, en criant. Je reconnu le maître parmi les deux hommes.

- Cours, pars vite ! Il ne faut surtout pas qu'ils t'attrapent, sinon ils vont te tuer ! Cours loin, ne t'arrêtes que quand tu es sure d'être très loin et demande de l'aide à quelqu'un après. Je vais les éloigner de toi, au revoir mon amie.

Alors je me suis mise à courir, j'avais peur. Mai est partie à l'opposé, en agitant les bras et en criant. Ca a marché, parce que le maître et l'autre homme l'on suivit, puis l'on attrapé. Je l'ai entendu crier, puis un gros bruit sourd, et le silence. J'ai continué à courir, jusqu'à ce qu'il fasse jour, puis je me suis arrêtée devant un bâtiment jaune, j'ai poussé la porte jaune, et je suis tombé sur un monsieur appuyé sur un bâton jaune, qui ressemblait beaucoup au maître, et une femme assise devant une table jaune, avec dans les main un canard, un canard au bec orange et aux yeux noirs, un canard jaune.

Combien de filles ont été victimes du système chinois et de son esclavagisme ? Combien de petites filles n'ont pas connues leurs parents, n'ont pas eu d'enfance ? Combien de petites filles ont été tué par leurs parents, à cause de la politique chinoise de l'enfant unique ? Combien de Mai ont réussi à faire preuve d'humanité, dans les lieux les plus sombres et inhumains ? Le monde est encore loin d'être évolué, et l'horreur subsiste.

Nouvelles, mais pas grand chose nouveau...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant