7) Marché

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Je marche. Je ne suis pas le seul à marcher, je suis entouré de plein d'autres personnes qui marchent, dans différentes directions, à différentes allures, et avec différents objectifs. Au milieu de ces marcheurs, il y a aussi des personnes debout, qui piétinent, et des personnes assises, qui attendent.

Je suis au marché de Victoria, et nous sommes un samedi 15 Avril, il est 11h27. Victoria c'est la capitale des Seychelles, et elle se trouve sur la plus grosse des îles, celle de Mahé. Les Seychelles c'est assez petit, et en même temps, ça semble grand lorsque l'on y est. Il y a énormément de végétation, et la jungle semble réellement impénétrable. Toute l'année, il y fait entre 26 et 35 degré, avec un soleil qui tape fort et un air très humide, particulièrement désagréable pour les Européens bien blancs et habitués aux quatre saisons comme moi. L'ensemble d'îles a été colonisé par les Français, puis les Anglais, et leur langue actuelle est un mélange de français, d'anglais et de créole seychellois, ce qui en fait une langue que beaucoup peuvent comprendre, mais que très peu savent parler.

Le peuple seychellois est adorable. Comme la grande majorité des gens vivant dans la misère d'ailleurs, il nous offre tout ce qu'il possède : son hospitalité, sa bonne humeur et ses fruits délicieux. Ce peuple semble détaché de toutes les obligations stressantes qui cloisonnent les vies des occidentaux, et dispensé de toute formalité administrative lourde dans quelque domaine qu'il soit, rendant leur vie plus dangereuse et désordonnée du point de vue des institutions de normes occidentales, mais bien plus simple et pratique d'un point de vue objectif et de leur point de vue.

Je suis donc dans ce marché, avec ma famille, mes deux parents, qui ont eu l'idée de se voyage, afin de faire découvrir à leurs deux enfants l'endroit qui fut leur destination de noce, 19 ans auparavant, et ma grande sur, qui préfère rendre envieux ses amis en publiant constamment des stories sur les réseaux de tout ce que l'on fait, plutôt que de profiter réellement de ces vacances idylliques qui seront ses dernières avec nous, puisqu'elle emménagera cet été avec son copain à Bordeaux, et débutera son nouvel emploi de conseillère en ventes dans un magasin Apple du centre-ville.

Mes parents ont fait pas mal d'heures supplémentaires, et on s'est beaucoup privé des plaisirs que l'on s'offrait par le passé, pendant une certaine période, afin de pouvoir économiser suffisamment pour ce voyage.

Il y a beaucoup de bruit, dans beaucoup de langues. Je reconnais certains mots, français, anglais, allemands, ce marché est entouré d'une ceinture de bâtiments, composés de commerces touristiques, avec des souvenirs, et de restaurants, et le centre est une place, couverte par de très nombreux parasoles de couleurs variées, donnant une sorte d'anarchie colorée et joyeuse, et avec des stands de nourritures, de fleurs et d'épices. Malgré cet entassement de tout, l'air est meilleur que dans la rue, il y a de nombreux ventilateurs disposés un peu au hasard de partout, créant un courant d'air très agréable et apprécié de tous. Rien n'est carré et calculé, tout est bricolé et approximatif, les gens parlent fort, les touristes négocient sur les souvenirs proposés, les locaux négocient sur ce qui leur servira de repas, et les mots se mélangent. Ce n'est pas harmonieux, mais c'est amusant. Ma mère s'arrête, elle demande le prix de ce sachet plastique fermé à la main avec un nud simple et contenant de la poudre jaune, une vieille dame se lève de sa chaise, et annonce d'une voie énergique "25". Il s'agit de 25 roupies seychelloise. Ma mère me demande de calculer avec mon téléphone ce que ça fait en euros, alors j'ouvre l'application calculatrice, et je tape 25 divisé par 18, puisque 18 roupies seychelloises équivalent à un euro. Pendant ce temps, ma mère demande à la marchande de quoi il s'agit, elle lui indique que c'est du safran, et qu'il provient de l'île, et en même temps je lui annonce l'équivalent en euros. Elle hallucine, ce n'est vraiment pas cher. Alors elle en prend deux paquets, très satisfaite de son affaire, me disant que ça coute beaucoup plus cher en France, et que c'est l'occasion d'en faire profiter les amis et la famille. Mon père voit les deux sachets, souffle et demande si elle est sûre que ça passera à la douane sans problèmes, et elle lui assure, sans vraiment le savoir, qu'il n'y aura aucun problème à la douane avec ça. Trouvant le temps long, je décide de laisser mes pieds me guider entres les stands, au hasard des allées et des stands, abandonnant mes parents en train de négocier 3 savons à la noix de coco à 40 roupies l'unité pour 100 roupies, et abandonnant mon grand frère qui essaie de draguer une touriste allemande plutôt jolie avec ses 5 années d'allemand LV2.

Parfois, je regarde, les gens, tout s'agite autour de moi, un vieux couple de hollandais, dont le mari porte un appareil photo en bandoulière et la femme un chapeau en osier qu'elle a acheté un peu plus tôt dans ce même marché, une vieille femme très maigre, assise sur un tabouret en plastic, derrière un étale de salades, avec un masque chirurgical, habillée avec un voile violet et noir, qui lutte contre le sommeil, et à qui personne n'adresse la parole, aujourd'hui comme les autres jours, elle ne vendra pas beaucoup de salades. Deux jeunes seychellois, avec une banane à la main, l'un avec un maillot de basket, l'autre avec le maillot bleu du Paris Saint Germain, qui parlent fort et rigolent. Un vieux, assis sur un petit muret en bordure du marché, un sac plastique à la main, le regard perdu dans le vide, immobile face à l'agitation quotidienne de ce marché. Je continue ma route, et je sens. Je sens beaucoup d'odeur, c'est incroyable. L'odeur qui domine, c'est celle des poissons posés sur ces dalles de béton, alignés en fonction de leur espèce, presque tous gris, certains sont déjà découpé mais la majorité sont encore entiers. Ca sent le poisson, fort, et la mer, en fond. D'ailleurs, l'Océan Indien n'est pas très loin, à moins d'un kilomètre. Ces poissons ont sûrement été pêché par des pêcheurs de la capitale, partis tôt ce matin au large, et revenus fatigué vers 9h, afin de décharger la précieuse marchandise qui constitue une bonne partie de l'alimentation des habitants. Lorsque je m'éloigne de ces poissons, je me retrouve entouré de mangues, de bananes, de pommes, d'ananas, de noix de coco et de papayes, et l'odeur est sucrée, très agréable et douce. Un peu plus loin, il y a deux allées, bordées de stands vendant des épices. C'est l'endroit que je préfère, car toutes les odeurs sont très différentes, elles invitent au voyage mais ne sont pas agressives comme celle du poisson. Le safran, le curie, la muscade, le clou de girofle, le poivre, tout vient d'ici, tout donne très envie. Je traîne dans ces allées, je ferme les yeux et je rêve de paix. Enfin, tout au bout du marché, là où peu de monde s'aventure, il y a la forêt colorée. Les fleuristes, et leurs stands aux milles odeurs et aux milles couleurs. Le spectacle est visuel et olfactif, les personnes qui tiennent ces stands sont tendres, et gentilles. Ca se comprend, c'est ceux qui voient le moins de monde et pourtant, c'est ceux qui l'aimerait le plus. Ce groupe des oubliés du marché, qui ne voient ces marcheurs que de loin, qui sont spectateurs de cette scène dont ils sont les exclus, les oubliés. Je m'assoit là, au fond de ce marché couvert, entouré de murs vieux et décolorés, et je m'endors.

Je me réveille, j'ai entendu du bruit, et j'aperçois un des fleuristes, le sourire au lèvre, vendre une rose à un jeune seychellois timide, qui s'en va rapidement, en lâchant un merci étouffé. Je me lève, pars me planter au centre du marché, regarde tout autour de moi, ma famille n'est plus là, la belle allemande non plus, alors je retourne vers un des stands de fleurs, je prends un tabouret en plastique blanc, je m'assois derrière le comptoir, et j'attends patiemment l'arrivé d'un client.

Si un jour vous avez la chance de partir aux Seychelles, ne perdez pas votre temps et votre humanisme dans un hôtel blanc et tout propre, qui est un simple rideau à la réalité des choses, et prenez le temps de sortir dans la rue, la vraie, à la rencontre des habitants, vous serez surpris par bien des manières. Les Seychellois sont un peuple merveilleux, et je n'ai pas grand chose d'autre à ajouter.

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