Chapitre 12

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De la fumée s'échappait de la fenêtre entrouverte d'un fourgon de transport. Une poussière opaque recouvrait les vitres du véhicule de livraison pharmaceutique. Le chauffeur était étendu à l'arrière entre les containers, les glacières contenant les poches de sang. Une pénombre presque totale recouvrait une contrée éloignée de toute ville ou l'infirmier s'était autorisé un détour.

Il savait que tout retard provoquerait inévitablement un avertissement, une mise à pied le concernant. C'était le but escompté. Le trentenaire expira longuement l'épaisse fumée tout en creusant les joues d'un sourire stupide. « ça, c'était de la bonne » !

L'odeur le trahirait, mettrait du temps à disparaître, mais il s'en contrefichait totalement. Le rouquin était lassé par le comportement de ses collègues, sa hiérarchie. Jeffrey, le plus jeune, avait pris la décision d'adopter la fainéantise innée de ses collègues. Pourquoi certains auraient le droit de ne rien faire ? Marc, par exemple, disait « amen » à toutes les simagrées de leur chef hiérarchique, mais n'hésitait pas à embaucher en retard, débaucher plus tôt. Julien plaisantait la moitié du temps avec leur chef pendant que ses collègues le remplaçaient en exécutant ses charges. Le plus irascible, Lucas, connaissait tout, savait tout faire, mais en fait restait un incapable ignare. Il y avait tant d'injustice persistante.

Jeffrey inspira longuement son herbe en exorbitant le regard. Les livraisons de sang réclamaient une conscience professionnelle, une conduite infaillible ! Quand bien lui fait.

Il prétexterait une manifestation agricole, un accident de la route, ou encore... aucune autre idée ne lui traversa l'esprit.

Il devrait patienter avant de reprendre la route! Même en plaquant sa paume sur l'œil gauche, il distinguait toujours quatre voies. La départementale n'en comptait que deux.

Certains crieraient au scandale ! Plusieurs enquêtes avaient confirmé que quatre-vingt-dix pour cent de la population française avait une bonne opinion des infirmiers. Jeffrey se moquait des sondages, les trouvait ridicules ! On devait respecter une certaine tranche d'âge selon le questionnaire pour obtenir un résultat valide. Exemple, si l'on demandait l'avis de sexagénaire sur les jeux vidéo en ligne, il serait caduc !

L'infirmier distinguait avec peine l'extérieur du véhicule. Le brouillard s'était-il levé ? Ha, mais la nuit obscurcissait déjà les environs. Comment était ce possible en plein milieu d'après-midi !

— Si le temps accélère, qu'est ce que je peux y faire, s'exclama-t-il en secouant le visage.

Un impact enfonça subitement l'avant du véhicule en le faisant sursauter.

— J'ai rien fais, j'suis à l'arrêt.

— Ohhh, gémit une voix flemmarde.

Jeffrey se pencha entre les sièges pour allumer les feux, puis se figea de surprise. L'infirmier refusait d'accepter la vision incroyable d'un homme dont la moitié du visage pendait en lambeaux. Comment pourrait-il continuer à marcher dans un tel état ? Il se claqua les joues tout en distinguant malgré tout la silhouette macabre.

— Ça va, monsieur, demanda-t-il en glissant sur le fauteuil conducteur ?

L'infirmier observa scrupuleusement le joint pour sourire.

— Y a pas à dire, c'est de la bonne !

La silhouette contourna le véhicule pour se définir sous l'apparence d'un homme en smoking déchiré. Jeffrey secoua la tête en refusant d'accepter le visage défiguré.

— J'ai une ordonnance pour le joint, s'excusa l'infirmier en abaissant la vitre conducteur.

Le piéton agrippa les rebords de la vitre en balbutiant des propos incohérents.

— Ôtez vos doigts, s'insurgea le transporteur médical en tentant de les retirer. C'est un véhicule... Aille, mais merde, vous m'avez mordu !

Il resta figé en découvrant les canines du passant coincé de son côté de la vitre. Une odeur nauséabonde pénétrait par l'ouverture, alors que, du pue, du sang s'écoulaient sur le Plexiglas. L'infirmier observa immédiatement l'embout de son index ou l'ongle était décollé.

— Putain, merde, l'infection...

La portière conducteur s'ouvrit subitement, la lame d'une épée transperça l'orifice oculaire, le cervelas du transporteur, pour ensuite perforer le front du piéton au-dehors. L'homme coté conducteur portait un costume avec un brassard à l'épaule « sécurité», un badge portait le nom de Stalinslas. Il retira la fine lame pour ensuite l'essuyer sur la manche de l'infirmier. L'épée de cour ou d'épée galante était plus légères et moins encombrantes que la rapière. La garde et le garde-main courbé était en laiton avec un manche en bois taillé avec les lettres S.S. gravées dessus à l'or fin.

La sonnerie de son portable le fit sursauter, il décrocha immédiatement.

— Oui, mon seigneur, les cibles ont été éliminées... Je l'ignore, le statut de la contamination n'a pas... Ce n'était pas l'héritière De Blanquo, mais sa cousine. Je suis fautif, j'accepte... Bien Sieur Vaucluse !

L'agent de sécurité fit glisser l'épée dans un fourreau dorsal, puis regagna son véhicule.

Il démarra le moteur pensif, risquait-il d'être exilé à l'Est ? Sieur Vaucluse ne commettait jamais d'erreur, n'en acceptait aucune. Il agissait de manière à étouffer celles des autres, ou à les retourner contre leurs responsables !

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