Le chant des cigales prenait peu à peu de l'ampleur, faisant presque plus de bruits que la sonnette qui retentissait à chaque fois qu'un client franchissait la porte de la boutique.
S'il en doutait encore, Al avait maintenant la certitude que l'été était là, avec sa chaleur étouffante qui envahissait la ville.
Avisant l'heure d'un coup d'œil sur la grande horloge qui trônait au-dessus de la caisse, Alphonse se faufila entre les rayonnages pour rejoindre la réserve.
Il jeta un regard au planning des livraisons de ce samedi et poussa un soupir désespéré en voyant la quantité.
Son oncle ne le rejoindrait qu'à la réouverture de l'après-midi et il allait devoir faire face, seul, à tous les apprentis bricoleurs, en quête de la petite pièce magique pour réparer leur climatiseur.
Zigzaguant ensuite entre les différentes étagères, il réarrangea les articles de la quincaillerie familiale et combla certains des espaces vides avec de nouvelles références.
En suivant, il veilla à ce que le stock de ventilateurs et climatiseurs soit bien présent à l'entrée du magasin, puis éteignit les lumières et actionna le lourd rideau de fer.
Voilà, la longue et éprouvante journée qui s'annonçait, pouvait enfin commencer.
Alors qu'il tapotait un rythme n'existant que dans sa tête sur le comptoir, un énième soupir s'échappa des lèvres d'Al, le faisant quitter sa contemplation approfondie du mur en face de la caisse.
Piotr était en retard.
Depuis le début de la pause estivale, ils avaient pris l'habitude de se retrouver les jours où Al travaillait pour son oncle, le mardi, le vendredi, ainsi que le samedi.
Le magasin fermant à midi et demi, Piotr se faufilait toujours dans celui-ci avant que la grande horloge ne sonne midi.
Mais celle-ci venait de retentir et son étrange ami, si ponctuel, n'était toujours pas là.
Tandis qu'il allait jeter l'éponge sur son rendez-vous journalier et maudire du regard la conversation SMS qu'ils partageaient, la sonnette qui était plus proche du son d'une bouilloire en fin de vie, se fit entendre dans la vaste quincaillerie.
Al se redressa, prêt à ronchonner contre Piotr lorsqu'il découvrit un client hésitant devant son comptoir.
Son visage ne lui était pas inconnu, un habitué qu'il avait croisé une précédente fois où il avait travaillé au magasin ?
— Est-ce que vous avez l'une de ces tiges en métal qui servent à actionner le mécanisme qui fait descendre les volets roulants ? J'ai opté pour une en plastique, mais elle m'est resté dans les mains ce matin et j'ai un chat enragé qui veut son bain de soleil quotidien sur le balcon...
Al retint un juron et un rire moqueur avant de se reprendre, devant la mine désemparée de l'homme en face de lui.
Les chats étaient capables de beaucoup trop de choses mesquines pour pouvoir en rire.
— Les gens veulent du plastique parce que c'est moins cher donc nous n'en avons plus en métal en stock. Mais je peux vous le commander pour mardi ? En attendant, je crains que vous ne deviez vous contenter d'une en plastique pour satisfaire votre fauve...
L'homme lui offrit un regard résigné avant d'acquiescer.
— Il est adorable, mais il sait montrer quand quelque chose ne lui convient pas...
— Je compatis, le chat de mon père lui mord le nez lorsqu'il a le malheur de changer de marque de croquettes.
L'homme laissa échapper un rire suivi d'un sourire mélancolique tandis qu'il sortait sa carte bancaire pour régler sa commande.
— Allez-y, fit Al en glissant le lecteur de carte devant lui, je vais vous chercher de quoi vous dépanner pendant le week-end.
Il quitta l'arrière du comptoir, jetant un coup d'œil à l'horloge avant de se diriger vers la réserve.
Midi et demi, Piotr ne viendrait plus désormais.
Il fouilla dans les étagères au-dessus des stores neufs avant de claquer la paume de sa main contre son front.
Mais oui !
Piotr !
Cet homme dont le visage mélancolique lui disait tant quelque chose était l'un de ceux qu'ils cherchaient à retrouver depuis des mois.
Il revoyait maintenant le croquis réalisé par son ami, si fidèle à la réalité, ainsi que le bracelet en cuir patiné par les années, qui l'accompagnait.
Bordel de cacahuètes, ce qu'il pouvait être lent à la détente !
La tige en plastique de secours en main, il se dépêcha de retourner à son poste où l'attendait le client dont le regard naviguait sans but entre les différentes étagères.
— Tenez. Ça devrait au moins lui accorder sa sieste solaire du jour.
— Merci, fit l'homme d'un air soulagé. Je vais laisser ouvert les prochaines nuits, au cas où. J'attends votre appel, ajouta-t-il avant de quitter le magasin, se stoppant un instant devant la vitrine alors que son corps accusait le retour de la chaleur écrasante.
Al desserra ses poings qu'il ne se souvenait pas avoir fermés avant de baisser à demi le rideau de fer et de fermer le magasin pour le temps du repas.
Il se remit à respirer et se précipita, les mains tremblantes, vers son téléphone.
Pio..Trr 12h23 :
Désolé, le plombier vient juste de partir.
Je suis en chemin.
Al 12h35 :
Je viens de voir le propriétaire du bracelet en cuir. Je te raconte ça quand tu arrives, ramène des beignets aux pralines.

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Il [T.1]
Fiction généralePiotr est un gardien de souvenirs, il recueille depuis sa tendre enfance des objets perdus et rêve de découvrir leur histoire. Mais jusqu'à ce matin d'hiver, au détour d'une station de métro, il n'avait jamais ressenti le besoin de partir à la reche...