PROLOGUE

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𝐍𝐨𝐯𝐞𝐦𝐛𝐫𝐞 𝟐𝟏𝟑𝟗

Un léger vrombissement constant occupait le silence ambiant qui régnait dans la Zal Soveta. Cinq hommes et une femme étaient installés de chaque côté d'une table triangulaire, tous vêtus d'une tenue bleue turquin aux coutures et broderies faites d'or. Un septième individu se tenait debout, à la base du triangle, les mains appuyées contre la surface blanche. Contrairement aux six autres, il était habillé en blanc, d'une tenue plus élaborée, mais sa silhouette semblait bien moins athlétique que celle des six conseillers.

La réunion qui se déroulait dans cette pièce était tenue confidentielle, aucune autre personne n'était conviée. Le Président leva une main pour retirer la pipe qu'il maintenait entre ses lèvres. Son regard froid et ses sourcils fournis intensifiaient l'expression sérieuse de son visage. Il orienta ses prunelles vers un individu blond portant des lunettes rondes. À côté de lui se tenait un homme plus âgé à la chevelure grisonnante, coupée très court.

— Messieurs Solovyov et Kuzubov, vous avez souhaité ouvrir le Conseil plus tôt que prévu. Pour quelle raison, exactement ?

Sa voix caverneuse brisa le silence, accrochant immédiatement l'attention de ses six conseillers. L'homme aux lunettes se leva de son fauteuil en cuir en déposant la tablette qu'il tenait sur la grande table. Il osa un regard dans la direction de son supérieur, sans le maintenir.

— La situation extérieure s'est aggravée, monsieur le Président, annonça-t-il.

— Développez.

Son confrère se leva également, prêt à renchérir sur le sujet qu'il maîtrisait le mieux. Il arrangea brièvement ses cheveux poivre et sel avant de prendre la parole.

— Les températures ont fortement chuté ces derniers temps, et le système ne répond plus.

La petite assemblée échangea quelques regards confus, tandis que le Conseiller Scientifique et le Conseiller Météorologique envoyaient quelques informations complémentaires sur les écrans holographiques de leurs collègues. Des chuchotements étonnés débutèrent et le calme fut bien vite submergé de questionnements à demi-silencieux.

Le plus âgé des deux hommes ajusta son veston bleu en se redressant solennellement.

— La caméra externe est en mauvais état, elle semble s'être déconnectée. Celle de l'intérieur n'envoie plus aucune image depuis une semaine. Et la dernière, placée sur la machine, est également éteinte.

— À quoi cela est-il dû ? interrogea le seul membre féminin du conseil, installé à la pointe de la table triangulaire.

— Nous n'avons aucun moyen d'en être sûr, intervint Kuzubov, en replaçant ses lunettes sur le haut de son nez. Ça peut tout aussi bien être la neige, comme la connexion, ou même les dispositifs en eux-mêmes.

— Pourtant la connexion n'a aucun problème.

Le timbre tranchant du Président coupa court aux paroles des deux conseillers. Il s'était assis dans son large fauteuil pendant qu'ils exposaient les récents problèmes, tirant sur sa pipe à intervalles réguliers, le regard plissé sur ses deux subordonnés. Paré à ses éventuelles objections, le conseiller aux cheveux sombres reprit la parole. D'un geste de la main, il envoya de nouveaux renseignements sur leurs hologrammes.

— Elle faiblit à cause des orages. Le système n'est pas en capacité de régler ces soucis, il est injoignable. Les dernières données qu'il a envoyées datent d'il y a deux semaines. Il manque son rapport hebdomadaire.

— Envoyez donc une Faction sur place.

Le Président s'enfonça dans le dossier de son assise, le regard rivé sur Kuzubov et Solovyov. Les Factions de l'armée militaire avaient beau être utiles au sein de la ville, il ne voyait aucun mal à les envoyer en mission sur la Surface. Les deux conseillers se regardèrent un instant, déconcertés. Le blond à lunettes fronça les sourcils en s'appuyant sur la table.

— Nous ne pouvons nous le permettre, Monsieur. Les Factions sont utiles à la sécurité du pays, nous risquerions leurs vies en les envoyant Dehors.

— Et les cyborgs de l'armée ?

— Ils seraient dysfonctionnels sous de tels orages. Leur conception n'est pas encore au point, intervint le conseiller militaire d'une voix assurée.

Le gouvernant laissa échapper un lourd soupir, tournant le bout de sa pipe entre ses doigts rachitiques. Il passa son autre main sur ses joues tombantes en réfléchissant.

— Que nous reste-t-il comme solution ? questionna-t-il.

Les conseillers se regardèrent à tour de rôle. Ils n'avaient que cet individu à la Surface, capable de les informer sur les changements météorologiques et ils ne pouvaient pas se permettre d'en envoyer un nouveau dès maintenant.

La fumée de la pipe du Président emplissait la pièce depuis quelques minutes, mais les aérations présentes dissolvaient le nuage gris. Le léger vrombissement de ces dispositifs fut de nouveau le seul son perceptible dans la salle. Le vieil homme perdit son regard dans le vide, pensif. Les secondes s'écoulaient lentement tandis que chacun des conseillers cherchait une solution éventuelle à cette liste de problèmes qui s'offrait à eux. Puis l'un d'eux émit une idée.

— Qu'en est-il des détenus de Bannagarðr ?

Il avait beau paraître jeune, ce conseiller était certainement le plus intelligent des six. Il était l'un des conseillers principaux du Président, son rôle n'était pas à négliger.

— On pourrait les sacrifier, n'est-ce pas ? poursuivit-il.

— Mais bien sûr ! s'exclama l'homme en blanc. Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt...

Le dirigeant décroisa ses jambes pour se relever. Droit comme un piquet, il replaça sa pipe entre ses lèvres avant d'en expirer longuement la fumée, son regard strict balayant la petite assemblée.

— Sélectionnez les meilleurs des domaines Militaire et d'Ingénierie, et sortez les de Bannagarðr. Nous leur confierons cette mission sur la Surface, après que vous ayez élaborer un plan d'action.

— Et s'ils meurent ? objecta l'un des six.

— N'est-ce pas déjà là leur futur proche ?

Sa réplique fit taire toute contestation. Pyotr Pitosin, le Président du pays, n'avait rien de bienveillant dans sa façon de gouverner. Sacrifier quelques personnes ne le dérangeait pas plus que cela, encore moins quand il s'agissait de criminels à ses yeux et selon les lois strictes de son régime.

— Pas tous... murmura Kuzubov, le scientifique à la chevelure blonde, assez bas pour ne pas être entendu.

Bien qu'en ayant un poste de Conseiller du Président il semblait adhérer à ses agissements, certaines de ses méthodes ne lui plaisaient pas. Et celle d'envoyer des gens mourir à la Surface en faisait partie. Cependant, c'était l'unique solution puisque les autres possibilités nécessitaient d'autres investissements plus lourds, et les cyborgs n'étaient pas confectionnés pour les températures négatives du monde extérieur.

— Et s'ils refusent d'y aller ? questionna l'une des deux conseillers principaux.

Pitosin tira sur sa pipe en fixant l'unique femme assise à sa table. Elle avait beau être importante dans la direction du pays, parfois il la détestait pour ses oppositions. Il souffla sa fumée grisâtre dans sa direction, bien qu'elle soit située trop loin pour en être affectée.

— Proposez leur un marché, commença-t-il. S'ils se portent volontaires et reviennent vivants de l'expédition, nous leur accorderons des bénéfices. Comme la liberté, par exemple, la fin de leur peine, en quelques sortes. Trouvez un compromis crédible.

Sur ces mots, le Président salua son Conseil d'un mouvement de la tête à peine perceptible, et se dirigea vers les grandes portes. Ses longs doigts tapèrent instinctivement sur un digicode et il quitta la salle lorsque les battants automatisés s'ouvrirent.

𝗧𝗛𝗘 𝗦𝗜𝗟𝗘𝗡𝗧 𝗟𝗔𝗡𝗗𝗦Où les histoires vivent. Découvrez maintenant