Supernova

Act. 16

          Personne ne pourra jamais mieux me comprendre que Jonah. Notre situation a beau être différente, il est le seul qui connait la face toxique du tempérament de mon père. Et pourtant, j'aime mon père. Je sais de quoi il est capable, et je sais qu'il n'a jamais vraiment accepté de ne pas pouvoir jouer dans des comédies musicales à cause de sa blessure à la jambe et sa convalescence qui a réduit à néant son envie de performer. Mon père est comme moi, mais en pire. Il a vu sa blessure à la jambe comme la fin de son parcours en tant qu'acteur. Il n'a pas cherché à se battre. À la place, il a choisi de se haïr pour ça. Pour lui, son rêve était désormais anéanti. Ma mère me l'a dit, sa vie n'avait plus de sens.

Alors il a voulu devenir directeur d'un théâtre. Il voulait être responsable d'une maison qui accueillerait des artistes. Il aurait pu être metteur en scène ou producteur mais non, il a décidé d'être à la tête de toute cette effervescence.

Les choses auraient pu bien se passer. Mon père qui fait sa vie avec ma mère dans un appartement à Broadway, ils évoluent, se marient et ont trois enfants. La belle vie. Une famille où les enfants ont le droit de choisir leur propre chemin, de découvrir leur passion.

Mais à la naissance de Jonah, mon père avait un rêve. Il en a toujours un. Il ne l'a jamais oublié. Quand il a rencontré son fils, son tout premier enfant, il a vu un potentiel. Il s'est dit qu'enfin, il pourrait réaliser son rêve.

Alors très jeune, Jonah était déjà devant des films, à regarder des gens danser et chanter. Il accompagnait mon père au théâtre et était présent à chaque représentation. Mais un jour, Jonah a avoué ne pas aimer ça.

Il lui a fallu longtemps pour être honnête avec mon père. Je le soupçonne d'avoir eu le courage de le faire car il voyait que moi, j'étais passionnée. Il savait que même s'il ne prenait pas cette voie, mon père m'aurait moi.

C'est ce qui aurait dû se passer. Mon père aurait dû se rendre compte qu'il n'avait pas besoin de Jonah, que j'allais de toute façon prendre la relève et me produire sur scène. Mais il ne voulait pas que ce soit moi qui réussisse. Il n'en n'avait rien à faire que je m'entraîne tous les jours, que je travaille ma voix, mes expressions et que je fasse partie du groupe de théâtre. C'était la mission qui était assignée à Jonah, pas à moi.

Mais mon grand-frère a toujours été quelqu'un qui s'estimait libre. À l'instant même où il a réalisé que le rêve de mon père n'était pas le sien, il a tout laissé tomber, et les portes de l'enfer se sont ouvertes sur terre.

C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que les parents n'étaient que des êtres-humains constitués de leurs propres défauts et travers. Avant de voir mon père renier mon grand-frère, je ne comprenais pas que les adultes pouvaient être instables.

Et parce qu'il faut agir pour survivre dans cette société, et que mon père lui promettait de le foutre dehors, Jonah a choisi la facilité. Si jeune, il m'a avoué vendre de la drogue pour pouvoir se casser. Il m'a brisé le cœur en me disant qu'il ne reviendrait plus jamais dans cet appartement une fois qu'il aurait assez d'argent pour se barrer.

Je n'étais pas d'accord avec ça, je ne voulais pas qu'il se mette en danger en vendant de la drogue et en se retrouvant dans des plans problématiques qui le mèneraient à vivre des choses sombres.

Mais même quand on pense que nous sommes assez matures pour endosser des situations compliquées, on se rend compte quelques années plus tard que nous ne pouvions pas changer les choses. À cette époque, je pensais être capable de sauver ma famille, mais je n'y étais pour rien.

Et un jour, ma mère est tombée sur la drogue que Jonah cachait dans sa chambre. Ce jour-là, elle en a parlé à mon père, chamboulée. J'entendais la scène depuis mon lit et harcelait Jonah pour lui dire de ne pas rentrer. Je l'appelais sans cesse pour essayer de le protéger. Je savais ce qui finirait par se passer et cette fichue image... celle qui ne partira jamais.