Act. 39

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— La copine chez qui tu vas souvent dormir, c'est Kenneth ? demande ma mère, visiblement dépassée par cette révélation.

— Oui, acquiesce Déborah.

Je la regarde d'un drôle d'air alors qu'elle garde les yeux baissés. Pourquoi se mouiller à ce point ? Elle fait ça pour donner une raison à mon père de nous laisser tranquille ? Ou est-ce qu'on l'aurait trop oubliée, jusqu'au point où elle aurait besoin d'attention ?

— Tu as seulement dix-sept ans, tu ne peux pas nous mentir comme ça, Déborah, la réprimande ma mère d'un air qui me faisait frissonner autrefois.

— Ce n'est pas comme si je pouvais tomber enceinte, rétorque-t-elle.

Quand j'entends ça, je pouffe de rire et Jonah m'accompagne. Elle n'y va pas de main morte, c'est sûr. Mon frère et moi échangeons un regard qui en dit long... notre petite sœur est en train de craquer.

— Et... , reprend mon père, elle est dans ton lycée ?

Il.

Elle semble serrer les dents en disant ça. Elle est sur la défensive parce qu'elle craint que mes parents soient contre sa relation à cause de la sexualité de Kenneth, ce qui est tout à fait compréhensible, surtout dans notre contexte familial actuel.

— Mais... vous êtes ensemble ?

— Oui.

— Alors tu es lesbienne ? demande ma mère de but en blanc.

Mike soupire.

— Je ne suis pas lesbienne, puisque Kenneth n'est pas une femme, mais un homme.

— Un homme transsexuel, c'était donc d'abord une femme.

— Kenneth est un garçon, insiste-t-elle. Je ne suis pas lesbienne.

— Mais...

— Je m'en fiche, je l'aime, répond-elle. Ce que vous devez retenir, c'est que Kenneth est un homme, et non une femme. Vous vous sentez capable de faire ça, ou pas ?

Ma mère s'enfonce au fond de sa chaise et mon père soupire.

— Est-ce que tu es heureuse ? demande subitement Mike.

Sa question fait redescendre toute la tension de la pièce. Nous nous tournons tous vers lui et Déborah qui le regarde avec beaucoup de reconnaissance.

— Oui, affirme-t-elle.

— Alors c'est tout ce qui compte. Maintenant, est-ce qu'on pourrait se concentrer un peu plus sur le fait que Ivy a été foutu à la porte, et moins sur la sexualité d'un ado de dix-sept ans ?

— Là, je suis d'accord, je réponds.

Mon père soupire pour la énième fois.

— Cette famille, c'est toi qui as fini par la détruire, l'accuse Jonah.

— Et qu'est-ce que je pourrais faire pour recoller les morceaux, hein ? À vous entendre, je suis un père complètement malade qui vous traite comme des marionnettes, alors qu'est-ce que vous voulez de moi ?

Ça change un enfant à tout jamais de devoir expliquer à un parent comment se comporter correctement. Après ça, l'équilibre est rompu. Et quand le parent en question n'est pas capable d'admettre qu'il a tort tout en prenant les dispositions nécessaires pour réparer ce qu'il a cassé, alors je me demande comment il est même possible de le pardonner.

Aujourd'hui plus que jamais, je comprends Jonah et sa colère. Il a été rejeté par son propre père, celui qu'il considérait comme son exemple le plus solide, et il a complètement perdu les pédales. Il a trouvé un moyen de s'en sortir mais dans le fond, il ne voulait pas vraiment partir. Il voulait que son père le retienne, qu'il s'excuse et qu'il lui dise qu'il est désolé. Il voulait avoir un parent responsable, quelqu'un capable de le secouer et de lui dire qu'il serait capable d'accomplir quoi que ce soit, tant que ça ne serait pas les comédies musicales.

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