Chapitre 5 - Tension

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[Séléna]

La musique reprend. L'ambiance a changé. Le jazz a laissé place à un morceau de musique classique au rythme soutenu.

Quinze secondes pour prendre une décision, cela laisse très peu de temps pour la réflexion. C'est même extrêmement court pour envisager de faire un choix qui changera peut-être ma vie... Mince, j'en viens à utiliser les termes clichés de Mickaël !

Presque malgré moi, je ressens des picotements dans l'estomac. Mes mains deviennent moites, mon cœur s'affole. Je lutte contre moi-même pour rester un minimum sexy. Dire que je suis la dernière à passer... L'attente promet d'être interminable. Autour de moi, certaines femmes montrent des signes d'impatience : leurs jambes se balancent et elles triturent les semainiers en or qu'elles portent au poignet.

Le tempo de la musique s'accélère. Je n'arrive pas à garder mon calme. J'ai envie de partir, de quitter les lieux en courant, mais la curiosité l'emporte. Un mélange d'excitation et de perplexité m'envahit. Ce passetemps indélicat commence à m'atteindre, à caresser ma raison de langoureuses promesses.

Je me rapproche d'une fenêtre aux vitres teintées. Il y a assez de lumière dans la pièce pour que je distingue mon reflet. Ouf, mon maquillage n'a pas bougé et aucune mèche rebelle n'a repris sa forme initiale.

Cinq femmes sont déjà revenues de leurs petites entrevues éclair, l'air enchanté. Aucune ne paraît déçue ni même frustrée. Les candidats doivent être particulièrement attirants. Le seul bruit qui provient de l'arrière-salle est le tintement de la cloche, qui commence sérieusement à m'agacer.

Celles qui ont passé la première étape s'éloignent de la file d'attente. Le vigile surveille que personne n'enfreint les règles. Si aucune de mes « consœurs » ne parle ouvertement, quelques-unes s'échangent des messes basses. Quelques mots me parviennent : « incroyable », « difficile », « à croquer ».

Des flagrances de parfums différents embaument l'air. Je ne saurais dire quelle femme est la plus apprêtée. J'envie la prestance de certaines et leurs tenues à couper le souffle. D'autres frisent la provocation en arborant des cuissardes en cuir sous leurs jupes en tissu grenat.

Marina ne m'a pas inscrite à cet évènement contre ma volonté simplement pour me pouponner et me rendre séduisante. Elle veut aussi que j'oublie Marius. Marius... je frémis. Je lui ai caché qu'il a essayé de me recontacter la semaine dernière. Plutôt être enterrée vivante que de lui répondre.

Je lui ai consacré huit ans de ma vie. Huit années qui se sont écoulées comme deux. Je l'ai rencontré lorsque j'avais dix-sept ans, en classe de terminale. Je n'étais qu'une jeune fille naïve qui se prenait pour une adulte. Mon premier amour, ma première relation longue. Je l'aimais doucement. Mais qu'est-ce que je connaissais à l'amour ? J'ai fini par réaliser que mon existence entière reposait sur lui. Il était mon monde, il prenait trop de place. Avant notre séparation brutale, je ne m'étais jamais retrouvée véritablement seule. Je ne savais même pas ce que je voulais faire de ma vie. Notre rupture était peut-être inattendue, mais c'était un mal nécessaire. Marius ignore que j'ai déménagé à Toulouse pour y travailler, après avoir accepté une proposition d'embauche du cabinet d'avocats DE LUCA, ROCHE & ASSOCIES. Je touche enfin du doigt la fin de mes études. Il ne me reste plus qu'à décrocher le certificat d'aptitude à la profession, un concours réputé difficile.

Une voix me ramène brusquement à la réalité, mettant fin à ma petite introspection.

ꟷ Numéro 11.

Je suis la prochaine à passer à la casserole ! Je m'agite, ne sachant quelle posture adopter. Le candidat qui a retenu mon profil a-t-il changé d'avis en assistant à ce défilé de mannequins ? Question étrange dans la mesure où j'ignore qui il est.

Je me sens observée par les autres femmes ; ma tenue est passée au crible. Elles n'ont rien d'autre à faire que reluquer ou critiquer. Ce n'est qu'un divertissement après tout. Un divertissement frivole. Tout est misé sur l'apparence, sur le premier regard, sur les jugements hâtifs. Comme si un simple contact visuel pouvait tout changer.

ꟷ Numéro douze.

Les battements de mon cœur s'accélèrent.

Je me place devant la porte qui mène à l'arrière-salle. Mes doigts s'accrochent avec force aux cartons au point d'en faire blanchir mes phalanges. Je croise la candidate numéro onze, une belle rousse au décolleté plongeant, qui me fait un clin d'œil.

Je prends une profonde inspiration et me glisse de l'autre côté du battant. 

122 nuits sans toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant