Chapitre 12 - Réveil amer

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[Tristan]

Des bruits de pas me tirent brutalement du sommeil.

Je me redresse d'un seul coup, tous les sens en alerte, sur le point de bondir hors du lit, avant de comprendre : les murs du vieil appartement que j'ai loué pour le week-end ne sont pas insonorisés. Les voisins du dessus déplacent des meubles en prenant un malin plaisir à les faire racler sur le plancher. S'ajoutent des bruits de tuyauterie et des éclats de voix en provenance du couloir.

Je jette un coup d'œil à ma montre kaki. Le cadran lumineux indique : « 20 : 55 ».

J'avais enfin réussi à m'endormir, pourtant je n'ai eu droit qu'à vingt minutes de sommeil. Génial. La chambre n'est même pas plongée dans l'obscurité : les rideaux ne sont pas assez épais pour masquer la luminosité qui émane des lampadaires du centre-ville.

Je relève la tête avant de la laisser retomber sur l'oreiller, encore alcoolisé. Je regrette d'avoir absorbé le verre de trop. Ou la bouteille de trop. J'ai droit au célèbre combo migraine et nausées. Rien que l'idée de boire une goutte supplémentaire d'alcool me donne envie de vomir.

Si je m'endors après minuit, ce sera foutu pour moi. Demain, je me lève à cinq heures. Ce n'est vraiment pas terrible d'attaquer la semaine dans cet état.

Je tapote l'autre côté du lit pour vérifier qu'il est bien vide. La jolie blonde que j'ai ramenée hier soir a dû plier bagage pendant que j'étais en train de comater. Je perçois encore les effluves de son parfum bon marché.

J'inspecte rapidement la chambre d'à peine neuf mètres carrés : personne pour me tenir compagnie. Les murs ont été peints en rose, couleur joues de chérubin. Ce détail accentue mon envie de gerber.

Mon meilleur ami d'enfance a eu l'idée de louer pour trois nuits l'appartement d'un particulier qui donne sur la Place Saint-Pierre, aux premières loges des tireuses à bière, histoire de passer du bon temps à Toulouse. Lucas est l'un des rares civils que je côtoie.

Deux célibataires endurcis qui font la tournée des bars, un grand classique.

J'ai la bouche pâteuse. Desséchée. Il faut à tout prix que je m'hydrate, c'est une question de vie ou de mort. En me levant, je manque de trébucher sur des cadavres de bouteilles de bière jonchant le sol à cause de la couverture qui s'est enroulée autour de ma taille. Mes vêtements forment un tas informe. J'attrape un caleçon sale qui traîne et l'enfile péniblement.

Cette scène de décadence m'est un peu trop familière. J'ai vécu des dizaines et des dizaines de réveils de ce genre. Plusieurs fois par mois, je me glisse dans les draps d'une inconnue ou j'invite galamment une demoiselle à me rejoindre dans une chambre d'hôtel réservée spécialement pour l'occasion avec la promesse d'une nuit intense.

Ces rencontres m'indiffèrent. Les jeunes femmes en fleur que je côtoie ont un rire idiot, une personnalité plagiée sur les réseaux sociaux et vivent une existence sans remous. Ce sont des filles aux courbes banales, à peine désirables, ramassées dans des bars miteux. Leurs histoires sont sans saveur et nos étreintes, sans lendemain. Aucune n'est jamais parvenue à me transcender, aucun détail ne m'a suffisamment touché pour me donner envie de les rappeler. Une fois que le mal est fait, elles retombent dans l'oubli dans lequel je les ai trouvées. De simples rencontres pour faire passer le temps. Pour faire passer la vie.

J'amorce quelques pas en priant pour que mon corps ne régurgite pas ce que j'ai avalé ce matin, un maigre repas se résumant à un croissant rassis et à deux tasses d'un café immonde gracieusement mis à la disposition des locataires. Je n'ai rien mangé à midi, trop occupé à dessaouler.

ꟷ Lucas ?

Parler m'irrite la gorge ; je grogne une seconde fois son prénom. Personne ne répond. Mon ami a dû sortir prendre l'air. Le connaissant, il doit être en train de chercher un hamburger bien gras à se mettre sous la dent. Depuis que je l'ai retrouvé vendredi, il se comporte bizarrement. Pas étonnant qu'il ne m'ait pas prévenu.

Je me rends dans le minuscule salon composé d'un canapé à l'assise dure, d'une télévision bas de gamme, d'un meuble-bar avec deux tabourets assortis et d'une table basse bancale. Je récupère mon t-shirt abandonné dans l'évier et manque de renverser un cendrier débordant de mégots qui trainait par là.

La pièce empeste la cigarette, la transpiration et l'alcool. Je fronce les sourcils, saisi par un flash de la veille.

Une étudiante ! J'ai ramené une étudiante d'environ dix-neuf ans. De mieux en mieux. Une charmante jeune femme répondant au prénom d'Alice. À moins que ce ne soit Alexia ? Peu importe. Je n'ai éprouvé aucune difficulté à la séduire. Je n'ai rien ressenti lorsqu'elle a accepté de me suivre dans cet appartement.

Je ne savoure plus la vie ; je l'avale toute crue.

Je croise mon reflet dans un miroir. Mes cheveux, récemment coupés pour respecter la longueur réglementaire, sont décoiffés. Mes yeux sont bordés de cernes. Une vraie tête de déterré ! Avec mes joues lisses, mon métier me colle à la peau. Surtout que je dépasse le mètre quatre-vingt-quinze, ma silhouette ne passe pas inaperçue. Difficile pour moi de me fondre dans la masse. Mon bras gauche est entièrement tatoué, les inscriptions partent du sommet de mon épaule jusqu'au plat de ma main. L'un de mes principaux atouts pour faire craquer la gent féminine.

Je me sers un verre d'eau à la propreté douteuse et le porte à mes lèvres. Quatre ou cinq remplissages feront l'affaire. À l'instant où le précieux liquide se déverse dans ma gorge, j'entends mon téléphone vibrer.

ꟷ Fait chier...

Je suis obligé de le consulter, je dois être joignable à tout moment en cas d'urgence.

Mais ce n'est pas le boulot, c'est Lucas.

Dans quelle galère s'est-il encore fourré ?

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⏰ Dernière mise à jour : May 04, 2023 ⏰

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