Être agent secret

Chapitre 8

Je panique. Je ne veux pas lui laisser l'occasion de s'expliquer. Je titube, cherche une échappatoire.

Je me retourne, tombe nez-à-nez avec Thomas. Je plaque mes mains autour de son visage et le tire vers moi, collant nos deux bouches l'une contre l'autre.

Il ne comprend pas, cherche à se dégager, mais je m'agrippe à lui et ne le laisse pas s'en aller. Il arrête de bouger lorsqu'il sent sa joue devenir humide, mes yeux se ferment, les larmes coulent et sillonnent mon visage. Il m'entoure maladroitement de ses bras.

Tyler ne m'appelle pas.

Je me détache de sa bouche mais reste collée à lui, parcourue de tremblements.

Je le sens qui se déplace, il s'extirpe tant bien que mal de la foule et se dirige vers un coin plus calme. Je ne veux plus ouvrir les yeux. Je me sens partie dans un autre monde. La musique, l'alcool, les odeurs, la foule. Elle. Lui. Je sens que je ne touche plus vraiment la réalité.

"Elise ?"

Je ne réponds pas.

Thomas insiste. Il veut savoir ce que j'ai, s'inquiète.

Je m'entends lui répondre vaguement que je ne suis plus avec Tyler, que nous nous sommes séparés.

Il ne dit rien, et souffle. "Allez, on sort un peu."

Dehors, il me dépose sur un banc, je me serre contre lui. Il a dansé, ça se voit, il pue la transpiration et sent l'alcool. Mais son odeur me rassure, me protège. Je lui dis que je suis désolée de l'avoir embrassé. Il caresse mes cheveux. Puis, prenant délicatement mon visage entre ses doigts et le tournant vers lui, il pose ses lèvres sur les miennes. Doucement. Je m'endors.

A mon réveil, je suis dans ma chambre d'hôtel.

Au début je suis bien. Les rideaux ouverts laissent la fenêtre m'inonder de soleil. J'ai un peu faim, mon esprit émerge tranquillement. Les bruits de la circulation plus bas, dans la rue, forment un fond sonore pas trop désagréable. Presque reposant. Mais peu à peu, la soirée d'hier me revient en mémoire.

Je revois la brune de mon ancienne classe.

Tom qui me rembarre froidement.

Tyler la serrant fort dans ses bras. Lou, se frottant sans vergogne à lui.

Thomas qui m'enlace et que j'embrasse.

Quel merdier. Comment ai-je pu laisser les choses déraper à ce point ?

A la trahison de Tyler, je dois maintenant ajouter une relation ambiguë avec Thomas.

Je dois absolument me reprendre en main.

L'eau chaude crachée par le pommeau de la douche me détend. Je suis une professionnelle. J'ai toujours grandi en évoluant seule. Ma relation avec Tyler m'abrutissait, de toute façon. Je dois me concentrer sur ma mission. Une fois que je l'aurai finie, j'irai voir Chuck et demanderai à changer de site. Et je continuerai de vivre normalement, en faisant ce pour quoi je suis le plus doué. Etre agent secret.

Je m'habille et file prendre mon petit déjeuner.

Dans le réfectoire en bas, Thomas et Tyler mangent l'un à côté de l'autre à une table. Mon cerveau marque un temps d'arrêt. Ils ne parlent pas, mais aucune animosité ne semble être présente entre eux. Tyler n'a pas l'air d'en vouloir à Thomas de m'avoir embrassé, et Thomas a l'air de trouver ça normal que son pote m'ait trompée. C'est un matin normal, on dirait. Comme si il ne s'était rien passé.

Mes poings se serrent. Je pressens que la suite de cette mission sera éprouvante. Mais je dois continuer. Je sais que je suis assez forte pour me remettre de ce genre d'épreuve. Il le faut, de toute façon.

Néanmoins, je ne tiens pas, moi, à faire comme si rien ne s'était passé. Je m'installe à une autre table, et vais chercher de quoi manger au self. Je serai mieux seule.

Une fois assise, je mange et réfléchis à la situation, la seule vraiment importante. Plus vite je termine cette affaire, plus vite je rentre. Donc. L'entreprise gérée anonymement est probablement tenue en réalité par Tom Lyncastel, le petit fils du président, ou future grosse fortune américaine grâce à son héritage et "autre". Plus besoin de se demander aujourd'hui d'où proviennent ses "autres" revenus.

Plongée dans mes pensées, je sursaute lorsque je vois un plateau se poser brusquement à la place devant moi. Je levais les yeux, et vois Thomas s'installer tranquillement. À côté, Tyler s'assoit aussi. Normal. Je lève les yeux au ciel.

"Thomas, laissez-moi tranquille. Je préfère rester seule pour l'instant.

-D'accord. Mais tu sais, il se penche vers moi pour me chuchoter à l'oreille, tu ne pourras pas me fuir indéfiniment."

Je regarde droit dans les yeux, essayant de décrypter ce qu'il cherche à me dire.

"Surtout après ce qu'on a fait cette nuit, termine-t-il avec un clin d'oeil appuyé."

Je le fusille du regard. Il se moque de moi, à prendre la chose avec tant de légèreté, et à insinuer des choses. Comment ai-je pu aller chercher du réconfort auprès d'un con pareil.

-Mais oui, c'est très drôle. Allez dégage et va t'acheter de l'humour. Et t'en profitera pour acheter une paire de couilles pour ton copain qui n'est pas capable de me dire en face qu'il me largue.

Sur ce, je sors mes écouteurs, mets de la musique assez fort pour ne plus rien entendre d'autre que les guitares électriques, et continue mon repas, les yeux rivés sur mon assiette. Au bout d'un moment, je me risquais à lever les yeux, et vis que Thomas me parler en faisant de grands gestes avec ses bras. Surprise, je coupais le volume de ma musique avant de voir que ce crétin ne disait rien, et faisait ça juste pour me faire réagir. J'observai la réaction de Tyler. Il mangeait tranquille, en s'amusant de voir son pote me faire chier. J'aurais pu dire "comme d'hab quoi", sauf que c'est plus le cas. J'avais embrassé son meilleure pote. Et on est plus ensemble. Je crois que je réalise même pas en fait. Je soupirais, enleva un de mes écouteurs, pris mon plateau et quittait leur table en lâchant un "Gamin..." à Thomas.

À cause de ces histoires de coeur débiles, je peux même pas me concentrer sur la mission. Je repense à mon histoire avec Tyler. J'ai toujours cru qu'il était sincère avec moi. Aha quelle bonne blague. C'est qu'un couillon fini ce type. Là, je suppose que c'est le moment où je suis censée appeler ma meilleure amie pour tout lui raconter, et pour qu'ensemble, on puisse échafauder un plan contre lui, et aussi contre Thomas tiens. Pour avoir profité que je sois bourrée pour me donner envie de l'embrasser !! Je le ferais volontiers, sauf que... je n'aie pas de meilleure amie. En fait, j'ai aucune amie. Mes missions prennent tout mon temps libre, et y'a franchement pas beaucoup de filles à notre base, et la plupart sont des dames de 40 ans... et pendant les missions, on m'a toujours dit de ne pas m'attacher à des personnes, parce que les sentiments, c'est ça qui fait foirer les missions. Bref. Tout ça pour dire que je me retrouve seule, dans ma grande chambre d'hôtel, à ruminer contre lui.

Jusqu'à ce que mon portable sonne. Je l'allume, et lis le message que je viens de recevoir.

"Salut, j'ai fait ce qu'on avait dit, alors j'espère que tu tiendras ta part du marché.

Tom."

Mon dieu. De quel marché il parle ? Qu'est-ce que j'ai fait hier soir ?