Chapitre III : la fin d'un chapitre...

96 15 175
                                    

- Tu viens manger, Cissy ? demanda Fel à celle-ci en la rejoignant. Il y a du pain et des pommes si tu veux. Je crois même que les sorciers ont sorti des pains au lait. Tu te rends compte ? Je ne savais même pas qu'on en produisait encore tellement ça fait longtemps que je n'en ai pas ne serait-ce vu ! Franchement, pourquoi est-ce que ce n'est pas moi, l'Inopiné ?

Cécile leva les yeux au ciel.

Lorsque leurs parents s'étaient éloignés avec les sorciers pour pouvoir s'exprimer librement sans « choquer » les oreilles sensibles des enfants, elle avait saisi l'occasion d'aller se dégourdir les jambes à travers les Pyrénées espagnoles. Or sa motivation avait été stoppée dans son élan quand elle avait commis l'erreur d'examiner un hêtre de plus près. Et alors qu'elle constatait que ses feuilles étaient davantage orange tanné qu'orange gomme-gutte – orange se rapprochât plus du marron -, qu'elles semblaient plus usées que sales et qu'aucune vie n'émanait de son tronc, la bile lui était montée à la bouche. Elle avait alors commis une nouvelle bévue en effleurant le feuillage, bref contact qui ne l'avait pas empêché de reconnaître le tergal, le tissu synthétique des plantes semi-naturelles qu'elle avait étudiées en première école.

Elle concluait donc avec effroi que cette partie – elle espérait secrètement que ce n'était pas le cas de sa totalité – de la forêt était artificielle lorsque Fel avait débarqué. Dans quel but le président d'Insania dépensait-il la maigre économie des humains pour leur cacher qu'Iraty se mourait alors même qu'il parvenait à peine à leur fournir suffisamment pour vivre ? Craignait-il que cela épouvante son espèce et que ce soit la goutte d'eau faisant déborder le vase, entraînant une émeute ?

Cécile se détourna de l'hêtre – si tant était-il qu'il méritait encore ce qualificatif – et emboîta le pas à sa soeur jusqu'à la clairière où ses parents et les sorciers croquaient dans des pains au lait. Blackmoon leva la tête en les attendant approcher et Amandine lui sourit. Faisant profil bas, elle attrapa une pomme et s'installa en tailleur un peu à l'écart en compagnie de son ainée. Elle portait le fruit à sa bouche quand Amandine et Nour se rapprochèrent.

- Je vous souhaite un bon appétit, les filles ! s'exclama la blondinette dans son parfait accent chantant.

- Merci, dit Fel, sa gêne clairement visible sur ses traits.

Les deux adolescentes s'assirent de part et d'autre des deux Occamy sans quitter Cécile des yeux, qui mordit nerveusement dans sa pomme.

- On ne mort pas à ce que je sache, fit Amandine. On étaient juste curieuses.

- Depuis combien de temps êtes-vous en fuite ? s'enquit Nour.

- Sans vouloir être trop intrusives bien sûr, s'empressa d'ajouta son amie.

Fel les darda du regard.

- Nous ne sommes pas en « fuite », nous ne « fuyons » rien. On a été bannis.

- Vraiment ? s'étonna Nour. D'après le portait qu'on m'a fait de l'Ennemi, elle m'avait l'air très protectrice envers son peuple. Qu'avez-vous bien pu faire pour qu'elle vous inflige une telle sentence ?

Nous parlions. Nous n'étions pas les chiens dociles qu'elle désirait. Nous incitions à la révolte. En clair : nous gênions. Alors, elle nous a envoyé loin de ses pions.

Des fragments d'éclats de voix assaillirent Cécile et elle pressa les paupières pour les faire taire, les enfouir dans un coin oublié de son esprit, là où ils pourraient pourrir.

- Au début du siècle 2700, une grande rébellion s'est formée, expliqua Fel. Au début, elle était très discrète, se contentant de transmettre son opinion lors de réunions clandestines ou de circulations de tracts pour que son comportement inquiète Sa Majesté. Mais environ vingt ans plus tard, des individus moins pacifiques ont pris le contrôle de la révolte. Ils ont violenté les Fire Crab lors des émeutes et n'ont pas hésité à crier haut et fort que Sa Majesté n'était qu'une manipulatrice insensible et égocentrique qui nous laisserait tous mourir de faim si nous n'agissions pas.

L'INOPINÉ 1- Entre deux réalitésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant