L'agression

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Samedi soir. Dans trois jours ! Cela allait trop vite, j'avais à peine eu le temps de réfléchir. Et il fallait aussi que je me trouve des vêtements... qu'est-ce que je pouvais porter ? Je n'avais pas le moindre sou pour faire du shopping. Je pouvais appeler Sao, mais elle était bien plus mince que moi... même avec un 38, ici, j'étais un éléphant. Le 95B détonnait. Heureusement, j'avais dans mes affaires une robe piquée à ma sœur avant de partir, que je n'avais jamais mise. Aline s'habillait sexy, et même si la robe n'était pas d'un grand couturier parisien, ça allait sûrement le faire. C'était un dos nu qui s'accrochait dans le cou par un col brodé de fils couleur bronze, délicatement ouvert entre les seins. La forme en V mettait mes épaules en valeur sans me faire passer pour un mastodonte, à la différence de bien des vêtements que je trouvais ici.

Entre les séminaires à la fac et les cours de français que je dispensais chez Minako, le reste de la semaine fila rapidement. J'essayai de ne pas trop penser à ce qui m'attendait samedi. L'essentiel, c'était d'avoir un peu d'avance pour payer Anfal.

La veille, je me rendis au Samanyölu comme tous les vendredis. Je n'avais pas eu trop le temps de préparer mon set et avais apporté une playlist que je connaissais bien. Même si j'avais eu du mal au début, je commençais à m'habituer au style turc et à sa métrique déstructurée.

Mon premier réflexe, lorsque j'entendis les clients emplir la salle, fut de jeter un coup d'œil rapide derrière mon paravent pour vérifier qu'il était là. Je voulais le voir s'avancer en pleine lumière, savoir enfin à quoi il ressemblait. Mais je n'aperçus rien de significatif et dus renoncer pour me concentrer sur mon costume. Comme d'habitude, j'étais arrivée déjà maquillée, cachant mes faux cils et la poudre scintillante qui couvrait mes paupières par d'énormes lunettes de soleil.

Le set se déroula sans encombre : cette fois, et en dépit de ce que Högir m'avait dit, j'avais renforcé l'attache de mon soutien-gorge avec une solide épingle à nourrice. Le cœur battant, je jetai un œil vers l'alcôve où le client mystérieux se tenait habituellement, sa cigarette diffusant ses volutes autour de sa silhouette sombre. La table était vide. Il n'était pas là... Constater l'absence de mon client le plus fidèle fit perdre un peu de force à mes ondulations, et je terminai mon set sans trop y croire vraiment.

À la fin de la soirée, j'allai trouver Högir.

— Je suis venue te dire que je danse encore vendredi prochain, puis j'arrête, lui annonçai-je.

Högir releva un regard furibard de sa caisse.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Je ne suis pas assez payée, Högir, soupirai-je. Six mille yens pour un set entier, ce n'est pas suffisant.

— Je connais plein de filles qui seraient ravies d'avoir l'opportunité de danser devant un public pour moins que ça, répliqua-t-il. J'en connais qui paieraient, même.

— Tant mieux pour toi. Parce que moi, j'arrête, répétai-je en tentant de dissimuler ma nervosité.

Högir me congédia d'un geste rapide de la main.

— Je t'attends tout de même la semaine prochaine, gronda-t-il dans sa moustache. T'as intérêt à venir. Mais après, ne t'avise pas de remettre les pieds ici ! Je ne te prendrai plus. J'ai été beaucoup trop généreux avec toi. Une petite allumeuse qui se croit supérieure parce qu'elle a des origines égyptiennes !

Je sortis du restaurant la tête basse. J'aurais peut-être mieux fait de lui annoncer la nouvelle le dernier soir. Mais j'avais voulu me montrer correcte avec lui, et lui laisser le temps de recruter une autre cruche. Ce pour quoi, je le savais, il n'aurait aucun mal.

SOUS L'EMPRISE DU YAKUZA (sous contrat d'édition chez BLACK INK)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant