D'un coeur au milieu des ténèbres

De la camaraderie dans une petite communauté

« Heureux de voir que nous avons du renfort, nous ne sommes pas trop de cinq. D'ailleurs, tu nous présentes, Jehan ?

-           Mes amis, voici Constance. C'est pour elle que je dois intercéder auprès de Maître Mahaut, elle a donc jugé qu'il serait dans son intérêt de nous aider à retrouver Irène au plus vite. Constance, je te présente Clément et Tristan, les deux inséparables, ainsi que la guérisseuse Mélisende, qui a de nombreuses fois apporté son soutien aux enfants et aux jeunes de la ville. Maintenant que les présentations sont faites, avez-vous du nouveau ? De mon côté, j'ai utilisé certains de mes contacts qui sont habitués à voir et à entendre un peu de tout, et surtout ce qui ne les regarde pas. Il se trouve qu'une jeune femme ressemblant assez à la description d'Irène a été aperçue par trois personnes en train de se promener en ville, la nuit dernière. Un mendiant un peu trop imbibé l'a même prise pour un fantôme, paraît-il. Elle portait une simple robe blanche et allait pieds nus à travers les rues et les allées.

-           Loin de moi l'idée de médire de cette jeune fille, mais son état de santé mentale n'a pas l'air très stable, interrompit Constance.

-           Elle est moins aliénée en tous cas que celles qui profitent de l'absence d'une personne qui se trouve peut-être en danger pour proférer d'aussi infâmes obscénités envers elle, grogna Tristan entre ses dents serrées.

-           Ah, je vois que la fille de l'Ordonnateur Nobiliaire s'est trouvée un roturier comme compagnon », répliqua-t-elle du tac-au-tac en lançant un regard assassin à son opposant.

Tristan, dont la rhétorique n'était pas le point fort, chercha quelque chose à répondre, mais ne trouva rien. Il fut cependant sauvé d'une véritable défaite par le gong de Jehan.

« Vous n'allez pas commencer de la sorte, j'espère ? Si c'est le cas, dites-le et l'on renvoie l'un des deux au hasard. »

L'idée de se faire évincer du groupe avant même de l'avoir réellement formé parut calmer les esprits et l'on put poursuivre. La petite équipe avait finalement trouvé refuge dans l'arrière-boutique de Mélisende, un endroit discret, comme elle le souhaitait, pour éviter le regard réprobateur des citadins sur les compétences qu’elle allait mettre en œuvre.

« J'ai bien une idée pour retrouver Irène, commença celle-ci, mais j'ai besoin d'une de ses possessions matérielles. La valeur qu'elle lui accorde importe peu. Tristan, tu n'as pas ça sur toi ?

-           Ceci, répondit-il en dégrafant la fibule d'argent qui retenait les pans de sa cape. Elle me l'a donnée, mais l'a portée pendant plusieurs années avant cela. Est-ce que ça ira ? »

Mélisende répondit par l'affirmative et s'assit en prenant précautionneusement l'objet entre ses deux mains en calice. Quelques dizaines de secondes passèrent, durant lesquelles un silence complet s'installa. Tous contemplaient Mélisende, qui elle-même ne décollait pas les yeux de l'épingle. Puis, sans que rien ne le laissât prévoir, tous purent remarquer une larme rouler le long de sa joue. La sorcière s'arrêta là. Elle rendit la fibule à Tristan et prit plusieurs profondes inspirations avant de parler.

« Je sais où elle est. Je sais ce qu'elle est devenue. »

Un violent tressaillement l’empêcha de continuer.

« Où est-elle ? Demanda Tristan, plus fort qu'il ne l'aurait voulu. Est-elle morte ?

-           Non, mais ce n'est pas loin. Je ne sais pas exactement ce qu'elle est devenue, mais je peux t'assurer qu'elle n'est plus elle. Je ne sais pas si c'est réversible, ni même si son état n'a pas empiré depuis ce matin...

-           Ce matin ? Explique-toi, je te prie, demanda Jehan.

-           Je l'ai vue ce matin. Je ne l'ai pas reconnue - et comment l'aurais-je pu ? Elle... Elle s'est..."

Mélisende s'interrompit, en proie à une réflexion agitée. Puis elle se leva.

« Je sais où elle est. Allons la chercher, vous verrez bien par vous-mêmes.

-           Où est-elle, alors ? Interrogea Clément.

-           Dans la forêt. »