De la rapidité des instants fatidiques

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Tout l'ordre naturel semblait avoir été bouleversé. Cela ne pouvait sauter aux yeux d'un promeneur, mais les habitués de la forêt sentaient bien que quelque chose n'allait pas. Les oiseaux ne chantaient déjà plus. Les ombres étaient trop allongées par rapport à la position du soleil. Même le vent, passant dans les feuilles, ne faisait aucun bruit. Le petit groupe avançait, guidé par Mélisende. Tous étaient prisonniers d'une angoisse de plus en plus difficile à supporter. Le trajet sembla durer une éternité. Soudain, sans crier gare, les arbres parurent s'écarter d'eux-mêmes. Les cinq compagnons débouchèrent dans une clairière, pauvrement abreuvée par le soleil qui déclinait de plus en plus. Au milieu de cette place végétale se tenait, impavide, une statue colossale, aussi large que haute, représentant une créature démoniaque aux longues dents affutées et à la queue fourchue, une entité blasphématoire aux cent yeux pédonculaires recroquevillée sur elle-même. L'espace ainsi formé entre le torse, les bras et les jambes du monstre était encore assez grand pour accueillir un autel de pierre. Et sur cet autel était assise Irène, enveloppée par les membres pétrifiés de l'abomination dans une perverse étreinte, cette fois-ci parfaitement reconnaissable malgré la brume noirâtre qui émanait de chacune de ses pores. Devant l'aberration de cette scène impie, Jehan recula, Constance se voila les yeux et se signa, Clément tira son poignard d'une main tremblante, Mélisende conseilla à tous de ne pas s'approcher ni de faire preuve de violence et Tristan se jeta sur l'idole dans l'espoir de réduire en morceaux, à la force de ses poings, la barrière rocheuse qui le séparait de sa bien-aimée. Mais peine perdue. Il eut beau tirer, pousser, chercher les failles dans la pierre pour trouver l'endroit où agir, la statue ne bougeait pas d'un pouce.

« Irène ! Mon amour, est-ce que tu vas bien ? »

Irène le contemplait. Ou plutôt, l'observait. Elle détaillait le visage de celui qu'elle avait aimé, tentant apparemment de rassembler quelques souvenirs.

« Ne t'inquiète pas, on va te libérer et on rentrera chez toi après.

-           Non.

-           P... Pardon ?"

Tristan s'était arrêté net.

« Que veux-tu dire ? Explique-toi !

-           Pardonne-moi, Tristan. Je ne peux plus rentrer."

L'abominable main griffue qui était posée sur son sein s'enfonça brutalement dans sa poitrine. Passée la douleur, ce n'était pas si désagréable que cela. Tristan la regardait, immobile, s'interdisant d'y croire. Une tache rouge s'étendit sous sa robe.

D'un coeur au milieu des ténèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant