Chapitre 2 : Reste à ta place

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    Nous restâmes dans la clairière pendant de nombreuses minutes encore. Silencieux, nous observions juste la nuit en plein jour. Hilda s'était blottie contre moi, ce qui provoquait en moi un tourbillon d'émotions.

    Les sentiments que je nourrissais à son égard ne dataient pas d'hier. Ils dataient de la première fois où j'avais posé les yeux sur elle. J'avais huit ans et elle sept lorsque nous nous étions rencontrés. Je venais de débuter ma formation de soldat et, un après-midi, après mon entraînement avec le général de Lorule, j'avais entendu des pleurs venir d'une des chambres du second étage. J'avais alors grimpé jusqu'à la fenêtre d'où venait les larmoiements, et j'étais tombé sur la princesse et son adorable bouille. Je me souvenais parfaitement de chaque mot prononcé ce jour-là. Mais surtout, je me souvenais de l'attaque frénétique de milliers de papillons au creux de mon ventre.

    Cette sensation s'était développée au fil des années, je suppose que l'adolescence et son lot d'hormones y étaient pour quelque chose. Mais, si mes sentiments n'avaient fait que grandir, mes espoirs d'une quelconque histoire avec ma chère princesse avaient rétrécis depuis longtemps, jusqu'à ne tenir que dans un recoin de mon cœur.

   J'aimais Hilda. À en mourir même. Mais je savais pertinemment qu'il n'y aurait entre elle et moi qu'une profonde amitié. La fille que j'aimais me voyait depuis toujours comme son meilleur ami, son confident, jamais l'idée que nous puissions être amants ou même mariés ne lui traverserait l'esprit. Pourtant, ces points de vue là assourdissaient ma raison, je rêvais de ces horizons inaccessibles.

    Lorsque je l'avais rencontrée, je m'étais empressé de raconter la nouvelle à toute ma famille.

    - J'ai rencontré un ange ! leur avais-je annoncé très fier.

    Je leur avais tout raconté, y compris les « drôles de bestioles qui m'avaient martelé le ventre ». Mes parents avaient souri, attendris, Liliane, ma petite sœur, et Lethan, mon frère cadet, m'avaient contemplé, subjugués.

    - Un ange tu dis ? m'avait demandé Liliane.

   - À quoi il ressemblait exactement ? avait cherché à savoir Lethan de son timbre timide.

   - C'est une fille, avais-je précisé, et c'est la créature la plus jolie au monde.

   - Vraiment ? s'étaient-ils exclamés d'une seule voix.

   J'avais hoché la tête. Ma grand-mère s'était approchée de moi et, d'un geste tendre, avait pris mes mains entre les siennes.

   - Je reconnais ces yeux, m'avait-elle annoncé de sa voix si douce. Ce sont ceux d'un homme amoureux.

    À cet attachant souvenir, je ne pus m'empêcher de sourire.

   Cette ange, je la tenais actuellement dans mes bras. Et c'était effectivement la créature la plus attirante au monde. Malheureusement, elle me verrait toujours comme un ami. Et même si un minuscule bout d'espoir subsistait toujours, chaque geste tendre qu'Hilda avait pour moi me faisait à la fois vivre et souffrir. Vivre, car ils nourrissaient l'espoir au fond de mon cœur, et souffrir, car ils me rappelaient que jamais je n'aurais droit à mon idylle.

    Je soupirai. Reste à ta place ! Ces mots étaient ma devise. Et lorsque Hilda, par pure innocence, m'enlaçait ou se permettait autre chose avec moi – par pure amitié malheureusement –, elle créait en moi un tourbillon de pensées malsaines qui alimentait mes nuits pour au moins une semaine.

    Contre moi, je pouvais sentir tous les frissons qui parcouraient le corps de ma chère princesse. Je me penchai vers son oreille déjà si proche de mon visage. Je pouvais sentir son délicieux parfum qui m'enivrait tant. Un parfait mélange de jasmin et de fruits rouges : cerise, myrtilles, et tant d'autres qui me firent tourner la tête.

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