Chapitre 6 : Prophétie

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   Le matin suivant la coupure de mon lien avec la Triforce, en me réveillant, je me sentis pour la première fois depuis de nombreuses années démuni. La sensation était étrange, j'avais l'impression d'être nu, sans arme, comme si une partie de mon âme était partie – c'était d'ailleurs sûrement le cas.

   En soupirant, je rejetai mes couvertures et sortis de mon lit. Machinalement, je jetai un œil par la fenêtre et, sans surprise, un ciel noir truffé de nuages gris foncé se présenta à moi. J'avançai vers la petite salle de bains adjacente à ma chambre et m'aspergeai le visage d'eau froide pour finir de me réveiller. Puis, je me plaçai devant le seul miroir de toute ma demeure, ou du moins, le seul assez grand pour que n'ai qu'à me positionner devant la glace pour me voir entièrement.

   Comme chaque matin, je soulevai la mince chemise que je mettais pour dormir – même si, en tant normal, je dormais torse nu en été, la Nuit Éternelle m'avait découragé de par sa température de plus en plus glaciale – et baissai les yeux vers le bas de mon torse, sur la gauche. Et comme chaque matin, je laissai glisser le bout de mes doigts sur la seule cicatrice qui marquait mon corps.

   À chaque fois que mon pouce entrait en contact avec la fissure désormais blanchâtre, les souvenirs de cette journée m'envahissaient. Je me voyais rentrer chez moi, du haut de mes neuf ans, impatient de retrouver ma famille et de leur raconter ma journée. La Princesse Hilda m'a tenu la main pour faire le chemin jusqu'à la Salle d'Entraînement des gardes ! avais-je prévu de leur annoncer.

   Le destin en avait décidé autrement.

   Depuis quelques temps, je rentrais une heure plus tard que prévu, car depuis que j'avais rencontré Hilda, je lui avais promis de convaincre son oncle, le chef de la garde et mon maître d'armes, de me laisser entraîner sa nièce après ma propre heure de formation. Il avait accepté, et depuis, je formais la Princesse à toutes formes de combat. Rapidement, nous devînmes les chouchous des soldats, ils adoraient nous regarder et nous féliciter lorsqu'un échange était particulièrement réussi.

   Toujours était-il que je rentrais une heure après la fin de mon entraînement. Ce jour-là, lorsque je franchis le seuil de la maison familiale, au lieu d'être assailli par le délicieux arôme de quelque pâtisserie qu'aurait confectionné ma chère maman, ce fut une odeur poisseuse, lourde et écœurante qui attaqua mes narines de plein fouet. Je baissai le regard vers le sol et...

   Non !

   À chaque fois que le souvenir arrivait à ce moment précis, je retirais mes doigts tremblants de ma cicatrice et levais les yeux vers mon reflet.

   - Pourquoi est-ce que moi  j'ai survécu ? murmurai-je comme à mon habitude.

   La vérité était que je me haïssais intérieurement. Je me détestais d'être là, alors que leurs cadavres se décomposaient dans leurs tombes. Je me détestais d'être rentré trop tard, et de n'avoir rien pu faire. Par dessus tout, je me haïssais de ne pas avoir succombé à la blessure qu'il m'avait infligé.

   Je détournai le regard et sortais à pas rapides de la salle de bains. Avec des gestes mécaniques, je m'habillais à la hâte avec ma tenue habituelle, passais une main dans mes cheveux en bataille – la dernière fois que j'avais essayé de me coiffer, le peigne était resté bloqué dans ma chevelure et depuis, j'estimais que passer une main était amplement suffisant – puis je descendis les marches quatre à quatre.

   Évidemment, Shiro me suivit et alla se percher sur mon épaule. Je lui grattouillais la gorge en signe de bonjour et mon oiseau me répondit par un doux roucoulement. En règle générale, mon petit compagnon détestait les cages, qu'elles soient grandes ou étroites, mais il dormait depuis toujours dans celle que je lui avais fabriqué peu après l'avoir trouvé dans la Forêt Sombre. Allez savoir pourquoi, mais il refusait que je la change pour une plus belle ou plus grande, acceptant seulement que je la lui répare en cas d'urgence. À mes yeux, c'était une marque d'affection, alors je respectais ses ordres, ne touchant à sa petite cage peinte en doré que lorsqu'il m'y autorisait.

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