Chapitre 1

1 0 0
                                    

« Bon alors, on le fait où ce concert, Frankie ? »

Celui à qui s’adressait la question se retourna en jetant un regard noir à son interlocuteur. Tous les membres des Black Bears savaient que Frank alias « Franken », le chanteur et porte-parole du groupe, détestait qu’on l’appelle Frankie.

« Du calme, je plaisante, tu le sais bien. »

Marcus prit quand même la précaution de se protéger le visage avec sa guitare. Précaution peu utile au fond, car Frank savait que Marcus comprenait très bien ce que c’était que porter un nom qu’on n’aimait pas. Son vrai prénom était Marc, mais il l’avait toujours détesté. Trop court, trop sec, et indissolublement lié au souvenir de son père, qui l’appelait toujours en prononçant son nom comme s’il appelait un chien. Pourtant, quand il avait eu l’occasion de se choisir un nom de scène, pour une raison qu’il ignorait lui-même, il n’avait pas pu se résoudre à abandonner complètement son prénom. Coupant finalement la poire en deux, il avait décidé de se faire appeler Marcus.

« Notre généreux sponsor, répondit Franken, est une dame, très riche de surcroît, et le concert a lieu chez elle. Autant dire qu’il va falloir vous tenir correctement pour une fois.

– Tu veux dire retirer tous les gros mots de nos paroles ? On ne va pas avoir grand-chose à chanter, alors. »

Un fou rire secoua tous les membres du groupe.

« Blague à part, continua Marcus, c’est bien la première fois qu’on joue chez des particuliers. En revanche, on est régulièrement dans toutes sortes de bars. Cette dame ne veut pas se déplacer jusqu’à nous ?

– Même si elle le voulait, elle ne pourrait pas. Elle est agoraphobe. D’après ce que j’ai compris, elle n’est pas sortie de chez elle plus de deux fois en cinq ans. Même si sa maison est sûrement plus grande que tous nos appartements réunis, je trouve ça un peu flippant, d’ailleurs…

– Quand même, ça m’étonne que tu aies accepté. Riches ou pas, tu as toujours dit que tu ne voulais pas jouer chez des particuliers, parce que ça te donnait l’impression d’être un clown d’anniversaire.

– Et alors, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Tu sais ce qu’on nous paye, en général, pour un concert ?

– Malheureusement.

– Hé bien, multiplie le tarif moyen par 10… Au bas mot. »

Marcus et tous les autres Black Bears regardèrent Franken avec des yeux ronds, sans plus oser rien dire. Ils ne gagnaient pas beaucoup avec leurs concerts, mais de là à imaginer que cette somme pouvait être multipliée par 10, ou peut-être même par plus… C’était à peine s’ils imaginaient pouvoir doubler leurs tarifs à la fin de l’année.

« Pour ce prix-là, finit par dire Marcus, je veux bien faire trois ou quatre rappels.

– Même plus, si ça l’amuse, renchérit Éric, le batteur.

– Quand même, reprit Marcus, tu n’as trouvé ça louche à aucun moment ? Notre hôtesse met un sacré paquet d’argent pour un groupe inconnu comme le nôtre, et si ça cachait un piège ?

– Un piège ? Elle est jeune, elle est riche, elle n’a rien à faire, c’est normal qu’elle ait envie de claquer de l’argent comme ça, parce qu’elle en a envie. Et si elle décide de le faire chez nous plutôt qu’ailleurs, ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre.

– Ni moi, répondit le chœur des autres membres.

– Parfait, conclut Franken en secouant sa toison brune, alors s’il n’y a plus de questions, reprenons les répétitions, les gars. Mademoiselle Rochelune doit en avoir pour son argent, on n’a pas intérêt à faire la moindre fausse note ! »

Poupée Psychotique Où les histoires vivent. Découvrez maintenant