Chapitre 3

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« Ouf !… Pas fâché d’en avoir fini. C’était bien le concert le plus bizarre que j’aie jamais fait ! Heureusement qu’on était très bien payés, sinon je crois que je serais parti bien avant… »

Éric renchérit derrière Franken :

« Je suis bien d’accord. Je commençais à être vraiment mal à l’aise avec ces deux folles. Quand la gamine boudeuse est partie avant la fin, je pensais que ça irait mieux, mais je me sentais toujours aussi bizarre… Il y a quelque chose dans cette maison de riches, je ne sais pas ce que c’est, mais c’est… dérangeant… »

Tandis que les autres membres des Black Bears rangeaient leur matériel, Marcus, qui était le seul à ne pas partager leur sentiment, s’éclipsa discrètement de la scène et se dirigea vers Alice. Celle-ci, dans un coin de la pièce, observait le groupe de loin, mais avec une grande attention.

« Je voudrais vous remercier encore pour votre invitation. C’était très généreux de votre part.

– Je vous en prie, j’espère que cela vous a plu autant qu’à moi.

– Bien sûr » répondit Marcus avec assurance, sachant cependant qu’il parlait en son propre nom et non pas en celui de son groupe.

Son regard s’attardait à nouveau sur Alice. La nuit était tombée depuis longtemps et la lumière tamisée du salon donnait une allure mystérieuse à la jeune femme. Son teint diaphane et la finesse de ses traits la faisaient encore plus ressembler à une fragile poupée de porcelaine, mais son regard brillant attirait l’attention sur elle et lui conférait une aura puissante et rassurante.

Marcus eut le réflexe de baisser les yeux, et son regard tomba sur le magnifique collier de pierres opalescentes qu’elle portait par-dessus sa robe noire. Le scintillement de ses yeux, il ne le remarqua qu’à ce moment, était en partie dû aux reflets de ces pierres.

« Votre collier est vraiment splendide…

– Merci… C’est un bijou de famille. Des pierres de lune, en hommage à notre nom de famille, Rochelune.

– C’est un très joli nom.

– Ma famille le porte depuis des siècles. À l’origine, nous étions une famille d’aristocrates et notre nom était de Rochelune. Mais à la Révolution française, un de mes ancêtres a senti le vent tourner et a préféré renoncer de lui-même à son titre de noblesse pour protéger ses biens et éviter la guillotine.

– Une excellente décision, en effet… Vous aussi, vous avez pris une excellente décision en nous faisant venir, ce doit être de famille…

– Vous exagérez…

– Pas du tout, je suis sincère… D’ailleurs, la sagesse se lit dans votre regard… Et vous êtes aussi… très belle… »

Alice ne dissimula pas sa surprise en entendant cette dernière phrase. Marcus se mordit la lèvre et sentit qu’il avait fait une gaffe.

« Ne faites pas cette tête, dit-elle finalement en riant. Savez-vous que vous êtes très beau vous aussi ? »

Ce fut au tour de Marcus d’être surpris. Il ne s’attendait pas à voir Alice aussi directe, et surtout, il ne s’attendait pas à s’entendre dire qu’il était très beau.

Pourtant la remarque n’était pas infondée. Grand, bien proportionné, il avait une allure imposante, même s’il y avait dans sa démarche quelque chose de farouche qui trahissait qu’il n’avait pas été gâté par la vie. Son visage avait des traits harmonieux, bien qu’un peu anguleux, qui étaient loin d’atteindre la perfection presque mathématique de ceux d’Alice, mais dégageaient cependant une impression de force tranquille. Une impression encore accentuée par ses yeux d’un vert tendre, au regard doux qui semblait toujours en quête d’amour, et qui prouvaient à eux seuls que ce colosse était en fait un gros nounours.

Alice se mit à jouer avec une des longues mèches blond doré de Marcus qu’elle tenait entre ses doigts.

« Vous êtes un vrai blond ?

– Euh… oui…

– Je m’en doutais. Votre peau est toute blanche… Elle doit aussi être toute douce… »

Pendant un instant, la peau blanche rougit nettement au niveau des joues. Le compliment était d’autant plus déstabilisant qu’Alice n’avait même pas touché cette peau. Et pourtant, Marcus le remarqua avec surprise, il avait nettement l’impression qu’elle l’avait fait quand même. Alors qu’il était seul avec elle, il sentait que des mains invisibles l’avaient touché.

Son esprit se troublait et son cœur battait à tout rompre. Une heure plus tôt, il n’aurait même pas rêvé de se retrouver face à cette créature divine, et voilà qu’elle répondait à ses sentiments au-delà de toute espérance. Cela lui semblait tellement improbable qu’il se demanda s’il n’était pas en train de rêver, osant à peine bouger ou parler de peur de briser l’enchantement.

« Marcus, tu viens nous aider ou quoi ? »

La voix de Franken. Il n’y avait rien de plus réel. Marcus crut qu’avec ce brusque retour au concret, il allait voir Alice disparaître brutalement, ou se révéler être à l’autre bout de la pièce. Mais non, elle était toujours en face de lui, avec son sourire suave, et tout indiquait que ce qu’il venait de voir et d’entendre était réellement arrivé.

« Euh… oui, oui… j’arrive. »

Il se retourna à contrecœur pour regagner la scène où les autres membres des Black Bears achevaient d’empaqueter leur matériel. Les regards qu’ils lui jetèrent, en particulier ceux de Franken, étaient bizarres, et il se demanda encore une fois si son partenaire n’avait pas lui aussi des vues sur Alice.

« Qu’est-ce que tu fabriques ? demanda Franken.

– Euh… ça se voit, non ?

– C’est bien ça qui m’étonne. Tu as vraiment fait du gringue à cette fille ?

– Si on veut… mais quand même, je n’aurais pas dit ça comme ça.

– Tu fais ce que tu veux, mais à ta place, je ne m’embarquerais pas là-dedans.

– Mais tu n’es pas à ma place.

– Non, mais on se connaît depuis un certain temps, j’ai une vague idée de ce qui est bon pour toi ou pas, et je voudrais t’empêcher de faire une bêtise. Cette fille a l’air bizarre. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez elle.

– Qui me dit ça ? Le type qui a un surnom qui évoque le monstre de Frankenstein, et qui joue une musique que les honnêtes gens qualifient de hurlements de sauvages ?

– Je suis sérieux, Marcus. Tu sais comme je suis tolérant avec les trucs qui sortent de l’ordinaire, mais là, il y a quelque chose de vraiment bizarre dans son comportement. Ça m’a mis mal à l’aise, et il en faut beaucoup pour me mettre mal à l’aise. Et si l’avoir juste une ou deux heures en face de moi m’a fait cet effet-là, je me méfie vraiment de ce qui pourrait arriver si tu l’approchais de plus près.

– Je suis désolé pour toi si Alice t’a fait cet effet, mais moi, je me sens terriblement bien près d’elle.

– Oui, j’ai cru constater qu’Alice t’avait déjà attiré dans ses filets. Je me doute bien que je ne te ferai pas changer d’avis, mais tu devrais faire attention à ne pas te lancer dans une aventure qui pourrait mal finir…

– Tu as une de ces manières de parler de ça, on dirait que c’est un monstre… »

Comprenant que poursuivre la discussion ne les mènerait à rien, Marcus préféra ne pas insister et terminer le rangement du matériel. Mais alors que les autres Black Bears se dirigeaient à grands pas vers la sortie, il prit le temps de faire un détour pour glisser un petit papier dans la main d’Alice. Le contact – bien réel, enfin – de ses doigts et de ceux de la jeune fille le fit frissonner, et il espéra que ce ne serait pas la dernière fois.

Poupée Psychotique Où les histoires vivent. Découvrez maintenant