Le quai de la gare

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-  « T'as une bonne tête, alors je te le dis à toi. Quelle est le meilleur moyen de se suicider ? Sauter sous le train, électrocuter, se tirer une balle dans la tête ? Enfin, moi je n'ai pas d'arme à feu alors je pourrai pas... »


Cette phrase, c'est celle d'un homme dont les yeux peinent à s'ouvrir qui se tiens devant moi sur le quai de la gare, il a une voix faible, une cigarette à la main à peine entamée et un briquet vert dans l'autre. J'ai passé beaucoup de temps à réfléchir à toute sorte de choses dans ma vie, j'avais déjà imaginé des scénarios comme celui là, mais sur le coup, on y pense pas, on n'y repense pas, au final, peut importe ce que je sais du sujet, je n'ai pas était capable de réagir selon mes plans...


« Je n'ai pas d'avis sur la question »


Cela a était ma réponse, avec un air un peu abasourdi par la question, le stress montant progressivement dans mon corps, il réplique très vite :


« ma femme m'a quitté et est partis avec mes 3gosses, j'ai tout perdu, et j'ai tout prévu. Une lettre attend à la maison et j'ai ma dernière cigarette »


Sa cigarette, elle est éteinte, il ne la fume pas. A ce moment, le stress devient plus fort, je réalise que je n'ai pas les mots, mon corps ne bouge plus, à part mes doigts qui eux s'agitent frénétiquement pour contenir la peur de ce qu'il peut arriver.


« Le suicide n'est pas une solution, il y a toujours moyen de s'en sortir, j'ai passé des années à aller mal et pourtant... »


« Mais si c'est une solution ! Je vais passer sous le train, je suis beau pour mourir » (ferme son gilet) «je suis bien habillé pour mourir, je suis joli ! »


« Une fois sous le train, ça ne sera plus très beau à voir... »


Réponse niaise, déjà deux mensonges sur mes véritables pensées en seulement 3 répliques... J'ai un avis sur la question, et si, le suicide est une solution, ce n'est pas celle que j'approuve, mais s'en ai une.

Je me répète encore une fois et lui dit que ce n'est pas une solution, il réplique encore que si, s'en est une. La paralysie est dans tout mon corps, je reste sur place, l'observant sur le bord du quai scrutant l'horizon, à l'affût du train qui arrive.


Une dernière fois je tente de parler, mais il me coupe la parole et me dit :


« Je t'ai posé une question, j'ai eu ma réponse, pas besoin d'en faire plus... Le train arrive. »


Il s'éloigne, marche un peu le long du quai et alors que le train arrive en gare, je ne peux que tourner la tête et espérer. Les secondes passent, le train aussi. Aucune bruit, pas un cri, le train s'arrête. Il est là, alors que je tourne la tête dans sa direction, il me fait un signe, je crois percevoir un petit sourire, et de la main il me fait le signe « non » et semble me saluer. Nous montons tout les deux dans le train, le même wagon mais pas par la même porte.


Dans le ventre et le cœur, j'ai la même sensation que lors de ma phobie scolaire, une peur immense, qui bloque tout le corps. Mais il ne l'a pas fait... la tension mettra quelques minutes à redescendre à un seuil vivable, mais je me souviendrai longtemps de ce moment d'impuissance totale face à une personne qui souhait la mort.


Cela fait maintenant plus de 5ans que je suis sortis de l'hospital psychiatrique, 5ans que j'ai passé le pic de ma dépression, et alors que j'avais la profonde conviction d'être parmi les « bonnes » personnes à qui parler en cas de problème, alors que je pensai dur comme fer que j'étais capable de gérer mieux que la plupart des gens ce genre de situation, je me suis retrouvé démunie et incapable de bouger, de tenir cette personne par le bras avec bienveillance et répandre en lui des petites hormones pour le faire aller mieux le temps d'un instant...


Je ne sais pas comment réagir au final, j'aurais peut être du lui dire que je me suis laisser mourir pendant un temps car tout était noir autour de moi ? J'aurais peut être du le rediriger vers de bon site internet où des gens compétents auraient discuté avec lui ? J'aurais peut être du aller vers lui et discuter durant les quelques minutes de trajet dans le train ?


Mais non, je n'ai rien fait de tout cela, je suis rester assis, mon gros casque autour du cou, dans le silence et le calme, presque comme une punition de n'avoir rien su faire.


J'ai eu beau prévoir des scénarios de ce genre, je n'étais pas prêt, et le temps de réfléchir et savoir quoi dire, il était trop tard. Je n'avais que 2 malheureuses minutes pour réagir, il serait mort, et moi, j'aurai ajouté un traumatisme à ma liste.


Le petit zèbre [rantbook]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant