Chapitre 10

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J'y crois pas. Après presque 15 ans d'absence, ma génitrice se tient là, devant moi, en chair et en os. Comment peut-elle se pointer ici comme si de rien n'était après tant d'années ? J'ai l'impression d'halluciner. Peut-être que c'est la beuh qui me joue des tours... Je me pince discrètement pour vérifier que je suis bien réveillé. A mon plus grand étonnement, c'est le cas. J'ai déjà vécu cette scène des milliers de fois, dans mes rêves. Les premières années après son départ, j'avais cette image récurrente qui me revenait en tête chaque nuit : je la voyais, elle et ses valises, passer le seuil de la porte, nous annonçant qu'elle revenait définitivement à la maison. Puis petit à petit, ces images se sont espacées dans le temps. Je ne rêvais plus d'elle qu'une fois de temps en temps. J'en suis même arrivé à un point où je peinais à me rappeler de sa voix, et ensuite de son visage. Seule une vieille photo un peu trouble que mon père avait gardé me permettait d'avoir un vague souvenir de ma génitrice. Mais un jour, en colère et après une longue soirée de beuverie, il a jeté certaines de mes affaires à la poubelle, cette photo y compris. J'avais 15 ans. 15 ans, la dernière fois que j'ai vu le visage de ma mère. Et celle-ci se tient désormais debout devant moi, comme si elle n'était jamais partie. Voyant que je ne suis pas décidé à lui ouvrir, elle s'autorise elle-même à passer le seuil de la porte.

– Tu permets ? demande-t-elle rhétoriquement en avançant vers le salon.

Sous le choc, je peine à parler.

– Qu'est ce que...? balbutié-je, décontenancé par la présence de celle qui m'a laissé ici même, il y a des années.

– J'ai appris pour ton père, me dit-elle avec un air navré. Je voulais savoir comment tu allais, continue-t-elle en observant et analysant de façon consternée l'état de l'endroit dans lequel elle se trouve.

– Pourquoi ? demandé-je dubitatif, sans trouver de mot plus juste pour exprimer mon incompréhension.

– C'est le rôle d'une mère.

Elle se dirige vers la cuisine et, sans me demander, ouvre le frigo. Comment peut-elle faire comme si elle était chez elle ? Ça fait bien longtemps que ce n'est plus le cas. Son hypocrisie me faisant bouillonner de l'intérieur, je retrouve ma répartie.

– Depuis quand t'as un tel instinct maternel ? J'te rappelle que tu t'es barrée quand j'avais 8 ans.

– Je suis désolée Jay, s'excuse-t-elle en décapsulant une bière. J'étais dans une mauvaise période...

Mon cœur se met à battre vite, et je sens une vague de chaleur se propager dans mon cou, puis le long de mes joues. Mes poings se serrent involontairement, à tel point que mes ongles s'enfoncent dans mes paumes.

– On a tous des mauvaises périodes, c'est pas une raison pour faire ce que t'as fait. Tu m'as laissé avec ce fils de pute, et toi, tu t'es barrée, monté-je en pression, la voyant agir comme si tout ça était normal.

– C'est mon plus grand regret, dit-elle en décapsulant une deuxième bouteille. Tiens, bois un coup, ça ne peut pas te faire de mal, poursuit-elle en me la tendant.

Elle s'installe ensuite sur le canapé, avec toute l'aisance possible et imaginable, sans dire un mot. Elle boit une gorgée, puis deux, puis cinq d'une traite, avant de poser sa boisson sur la table. C'est à ce moment que je reconnais l'air de famille.

– Qu'est-ce que tu me veux ? lui demandé-je après plusieurs secondes de silence, m'asseyant en face d'elle.

– Je veux renouer les liens familiaux, Jay.

J'peux pas y croire. Cette femme n'a aucune idée de ce que représente la notion de famille.

– Te fous pas de ma gueule, t'en as jamais rien eu à foutre.

Don't Speak : ExploreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant