Je m'écroulai sur le battant de la porte, en me projetant à l'extérieur. Il devait être tôt ; la nuit recouvrait encore la petite ville de son immense voile obscure. On ne voyait pas grand-chose à plus de dix mètres. Les seules sources de lumière venaient des lampadaires, plantés le long de la route tous les quinze mètres. Ils projetaient sur l'asphalte une lumière jaunâtre insolente et agressive. Il n'y avait personne sur le parking du bar. Pas un chat. Ne restaient que quelques voitures sales garées contre le mur du bâtiment. Je me tenais ainsi seul, à contempler l'espace vide devant moi, une bouteille de whisky à la main - une Imperial Blue à 65 €. Et une bouteille déjà bien entamée.
Cette nuit-là était une de ces sombres nuits froides d'hiver où le ciel cachait l'éclat des étoiles. Parfois, entre deux énormes nuages, une pleine lune apparaissait. Mais je n'en avais pas la moindre impression : ma vision était complètement floue. Je marchais avec difficulté, en zigzaguant de long en large du parking désert. Il faut dire que j'avais bu bien plus que de nécessaire. J'avais perdu mon travail à la mairie et ma femme venait de m'annoncer qu'elle me quittait. Un direct dans la gueule de Jimmy. Tout cela subitement dans la même journée. Ma femme avec qui j'avais passé tant de bons moments ces cinq dernières années... Cette pauvre idiote... Elle m'avait volée, oui ! Elle m'a...
Pour oublier cette mélancolie du cœur, cette rébellion de mon esprit pour oublier la tristesse - et la haine - qui m'envahissait petit à petit, je suis venu ici, à un endroit que j'avais arrêté de fréquenter la trentaine passée : le bar de la ville. Et puis comme on dit : « Rien de mieux que la bouteille pour faire passer un mauvais moment ! » - n'est-ce pas Jimmy !?
Je flottais sur un paisible nuage, haut dans le ciel, là où plus rien ne m'atteignait. Plus rien ne semblait avoir la moindre importance. Tout paraissait irréel, mais aussi tellement fantastique à la fois ! Je vagabondais le long de la route menant au village sans même m'en souvenir, du moins pas dans l'immédiat. Je souriais et rigolais pour un rien. Les conducteurs des quelques voitures qui passaient en vrombissant devaient bien penser que j'étais un aliéné sorti de chez les fous. J'étais bercé par le doux chant d'un grillon, perché quelque part dans les hautes herbes. Tout était dans ma tête qu'euphorie la plus totale.
Devant moi s'étendait à l'infini la forêt qui bordait le village à l'Est. A perte de vue. Des arbres immenses dont la cime s'élevait jusqu'au ciel se dressaient là, tels d'innombrables mages noirs formant une frontière naturelle entre le monde des vivants et... l'autre... Cette étendue boisée s'étendait au-delà des limites de la ville - Oh oui ! Bien au-delà. Quelques mètres à peine en son intérieur suffisaient à se retrouver plonger dans une obscurité épaisse. C'était à peine si l'éclat jaunâtre des lampadaires parvenait à percer cette brume qui semblait empêcher toute profusion de vie animale dans la forêt. Je m'attendais à n'importe quel moment à voir les branches des arbres se pencher vers moi pour me saisir les jambes et me traîner jusqu'au fin fond de ces bois qui s'étendaient bien plus loin que ce qu'un être humain pouvait imaginer. Anormalement loin. Quelques personnes s'y étaient approchées ; celles qui sont revenues ont décrit un sentiment d'angoisse permanent, un climat de tension qui vous saisissait à la gorge une fois la barrière d'arbres géants franchie. Ça, Jimmy, j'y crois, pas la peine d'aller vérifier, j't'le dis !
Je m'avançai de quelques pas mal assurés vers ces effrayants troncs aux formes exiguës. La pénombre entre les arbres semblait m'attirer, me happer vers elle. Elle m'appelait ; elle me voulait. Comme si elle avait besoin de moi. Désespérément, tout comme moi j'avais besoin d'elle. Je m'avançai d'encore quelques pas. Je suis à présent juste à la lisière de la forêt. Rien qu'en tendant la main, je pouvais effleurer les feuilles et leurs branches.
Soudain, je lâchai la bouteille de whisky que je tenais dans la main. Merde ! Elle m'avait tout bonnement échappée. Elle partit s'éclater contre le sol. Plein de morceaux de verre s'éparpillèrent sur le goudron dans un cliquetis aigu. Le liquide se déversa sur mes chaussures et éclaboussa mon pantalon. Une odeur forte s'en échappa.
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Tant que la nuit n'a pas dévoré le monde
HorrorRecueil de nouvelles fantastiques, d'épouvante et autres. Macabres, gênantes et pourtant profondément envoûtantes. Alors profitons, si vous le voulez bien, à la lumière de votre cellulaire. Les ténèbres sont plus proches que vous ne le pensez, et le...