Nona

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L’après-midi touchait déjà à sa fin. La journée avait été douce, et sur tous les visages, à travers ces sourires et ces airs égarés, on voyait la même pensée se dessiner : enfin, le printemps était-là.

L’air était pur, agréable, au-dessus de Paris, presque magique. Le ciel qui allait s’obscurcissant était bleu, violet, rose, et il faisait bon. C’était un temps idéal pour une promenade romantique le long de la Seine, si le cœur vous en disait.

Un jeune homme, les mains dans les poches, descendait l’avenue des Champs-Elysées, le pas léger. Il contemplait ce ciel immense avec comme l’envie d’y plonger. Ses traits étaient détendus, posés. Il avait des cheveux clairs et courts ; des grands yeux sombres. Et il était heureux.

Sur un banc, deux vieilles femmes le regardaient avancer en silence dans leur direction. Son regard croisa le leur. Il sourit. Elles lui répondirent son sourire en retour, en inclinant la tête en avant. L’une d’elles attendit qu’il fût passé pour murmurer à sa voisine :

« Regarde-moi ce jeune homme. Je peux entendre battre son cœur d’ici... Il est amoureux ! »

S’il y avait bien une époque de l’année où l’on pouvait tomber amoureux de Paris, c’était bien au printemps. Tout le monde paraissait heureux. Lorsqu’il passait devant la terrasse d’un café ou d’un restaurant, les gens discutaient à voix basse, parfois même pas du tout, se contentant juste d’observer ce magnifique dégradé dans le ciel de cette fin de journée, main dans la main.

Voilà, tout devient plus beau à l’approche du printemps. Les gens deviennent un brin nostalgiques — mais comment ne pas l’être ? En cette saison, tout semblait redoré, ensorcelé, irréel. Comme cet homme, qui, son nom dans la tête, s’en allait rejoindre sa belle dans un petit appartement sous les combles. Il était fou amoureux, et rien, ni même l’avenir, ne pouvait l’effrayer. Quand on est deux, tout est un peu plus, tout est un peu moins. Rien, pas même la mort ne pourrait rompre ce lien qui unit deux personnes.

Le jeune homme, toujours ce sourire flottant sur les lèvres bifurqua à gauche au carrefour, sans quitter des yeux la voûte céleste des yeux. Il faillit même renverser un homme qui promenait son chien. Aucun des deux ne s’énerva. Ils se contentèrent de profiler quelques vagues excuses en riant. Puis l’homme au chien lui souhait une bonne soirée et s’éloigna après lui avoir affectueusement tapoté l’épaule. C’est cela le printemps.

Le jeune amoureux continua son chemin. Il passa sous une fenêtre entrouverte d’où s’échappaient le son grave et monochrome d’un présentateur télé. Dans un jargon journalistique, les mauvaises nouvelles se succédaient : la jeune femme disparue il y a trois semaines n’avait toujours pas été retrouvée ; la guerre continuait de faire des ravages en Afghanistan ; l’Inde doit de nouveau faire face aux inondations ; les scientifiques tirent la sonnette d’alarme au sujet du réchauffement climatique ; encore des milliers de kilomètres carrés de forêt abattus en Amazonie, le grand poumon vert de la planète ;

Mais le jeune homme continua d’avancer sans que son humeur ne se dégrade le moindre du monde. Toutes ces nouvelles, aussi graves soient-elles, ne l’atteignaient pas. Pas ce soir en tout cas, il faisait bien trop bon pour que toutes les horreurs du monde extérieur ne le touchent. Cette horreur qui n’avait que faire des quotas. Ces mauvaises nouvelles semblaient loin, si loin, elles avaient un air hors du temps. Il était heureux, il ne pouvait donc pas connaître les tourments du monde extérieur, pas dans sa chair en tout cas. C’était comme si le temps s’écoulait plus lentement pour lui. Rien de terrible ne pouvait lui arriver.

Pas à lui.

Pas ce soir.

Impossible.

Le jeune homme ralentit en passant devant une boutique de fleuriste. Pour la première fois, il sortit de sa rêverie. Il contempla les bouquets qui s’alignaient dans la vitrine : autant de pivoines et d’arums, de lis et d’astilbes se mélangeant dans des teintes pastel. Il allait en acheter un, pour Nona. Nona adorait qu’il lui apporte des fleurs. Chaque semaine, bien que ses revenus d’étudiants le lui interdisent, il lui achetait des petits cadeaux, comme une boite de chocolat, un parfum parfois. Mais ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’était les bouquets de fleurs.

Tant que la nuit n'a pas dévoré le mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant