La mort, la mer et l'enfant

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À peine Benjamin eut-il posé son sac à dos sur le sable que déjà, il s'élançait en courant vers la mer. Pour le petit garçon, pas question d'attendre une seconde de plus. Déjà plusieurs heures qu'ils étaient partis et le voyage en voiture avait été interminable. Papa et maman l'avaient sorti des draps vers sept heures ce matin - c'est-à-dire beaucoup trop tôt - et le trajet depuis Aurillac jusqu'à Argelès-sur-Mer avait duré plus de quatre heures. Quatre longues heures pour le petit Benji. Et c'était sans parler de la chaleur abominable. En cette fin de matinée de la mi-août, on se croyait dehors en plein cagnard. Et puis comme la clim de la 106 de maman ne fonctionnait plus depuis des lustres, ses parents avaient été obligé d'ouvrir les quatre fenêtres en grand. Un air chaud, au point d'en être étouffant avait envahi l'intérieur de l'habitacle. Ça, Benji n'avait pas du tout aimé. Peu de temps après, son grand frère, Thomas, avait demander à refermer les vitres. Ça ne servait à rien et le vacarme du vent les rendait presque sourds, au point de les obliger à crier pour se faire entendre.

Le trajet avait continué. Benjamin, du haut de ses huit ans, avait trouvé le voyage aussi passionnant qu'un discours sur la politique agricole commune ou la fiscalité ; autrement dit : d'un ennui mortel. Il y avait toujours en face de lui, accroché au dossier du siège de papa, la petite télévision sur laquelle il regardait de temps en temps ses dessins animés. Mais il savait pertinemment que regarder un écran lui donnerait l'envie de rendre son petit-déjeuner. Il pensait donc être sage de ne pas allumer la petite télé, pour éviter toute remontée gastrique.

Mais ça n'avait plus beaucoup d'importance maintenant. Ils étaient enfin arrivés au terme de ces quatre heures de trajet. Les champs et les forêts de l'autoroute avaient laissé place à la mer. Face à lui, la Méditerranée étendait ses vastes pâturages aquatiques à l'horizon. L'air frais venant de la mer lui ébouriffa ses cheveux qu'il avait blonds. Ça faisait du bien, ça oui ! La dernière fois qu'ils étaient allés à la mer tous les quatre, papa, maman, Thomas et lui, devait bien remonter à un an, peut-être deux. La notion du temps chez les enfants n'est jamais la même ; enfermez-le une minute dans sa chambre, et il aura l'impression d'en avoir passé vingt.

Sans cesser de courir, Benjamin enleva son tee-shirt et le jeta derrière lui, à quelques centimètres d'une grosse dame assoupie sur un transat rose. Il ira le ramasser plus tard. Là, tout de suite, il voulait aller dans l'eau, y plonger ; il devait y aller. Benjamin cria, un grand « Yahouuu ! » qui se firent tourner autour de lui les têtes quelques instants. Sous ses pieds martelant le sol, il sentit le sable devenir humide, lui coller aux talons, en laissant derrière lui des empreintes parmi tant d'autres. Fonçant à toute allure à travers les serviettes et les parasols, Benji s'imaginait courir alors que le chronomètre d'une bombe à retardement se rapprochait dangereusement de zéro et que sa seule façon de survivre était de plonger dans l'eau. Enfin, les premières vaguelettes déferlèrent sous ses pieds. Derrière lui, ses parents et son grand frère installaient le parasol et les serviettes. Sa mère, lui cria, les mains en porte-voix : « Attends, Benji ! Je ne t'ai pas encore étalé la crème so... »

Mais il avait déjà plongé tête la première dans l'eau.

Et mon Dieu, qu'est-ce que ça faisait du bien ! En sentant la fraîcheur de l'eau à la surface de sa peau, Benji ne put s'empêcher de réprimer un frisson de plaisir. Voilà : c'était ça qui lui avait manqué ! Le garçon savait déjà comme il occuperait sa journée. Une fois convenablement rafraîchi, Benji s'improviserait Robinson Crusoé, construirait des forteresses de sables - pas des châteaux, non : des forteresses ! - puis il errerait sur les vagues, allongé sur la bouée matelas, porté par le courant en tant que naufragé de ce gros bateau qui avait coulé et dont il avait regardé le film avec ses parents, le Nitanic, ou autre chose du genre. Il ne s'en rappelait plus. Et puis à vrai dire, il n'avait pas trop compris le film. Benjamin était déjà tout excité rien qu'à la pensée de son programme. Il aurait le temps de bien s'amuser, puis il rentrera à la maison, exténué mais non moins content de cette belle journée. Normalement...

Tant que la nuit n'a pas dévoré le mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant