Haine

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« Et puis toute cette rage, toute cette colère jaillit hors de moi lorsque je rentrai du boulot. Ce jour-là n'était pas plus différent qu'un autre, mais c'est pourtant là que tout explosa, que toute ma haine se déversa dans les rues. Elle prit la forme d'une coulée de sang et de cris, mêlant une odeur putride de mort et de fumée. J'avais recréé l'apocalypse ! Je voyais ce monde... - ce monde que je haïssais - s'embraser dans un baiser sanglant et partir en cendre. Tout n'était que vacarme infernale, colère et terreur absolue.

« Toute ma vie j'avais attendu ce moment. Je haïssais les gens, je haïssais la vie, je me haïssais. Mes journées ; abominables. Toutes se ressemblaient affreusement. Un cauchemar qui se répétait tous les jours, voilà ce que je pensais ! Chaque réveil en cet enfer m'était douloureux, je souffrais dans mon minuscule corps de damné brulant dans les flammes infernales. J'étais condamné à crever ici infiniment jusqu'à ce que la folie ait raison de moi.

« Toutes ces journées et toutes ces nuits qui se ressemblaient... Il ne m'en venait pas une seule sans qu'une envie de flinguer un de ces hommes en costume gris ne me vienne. Leur enfoncer mon poing dans leur gueule, y ouvrir un trou profond qui passerait d'un côté à l'autre, comme un canal. Cela leur permettrait peut-être d'avoir les idées plus claires ? Leur ouvrir le crâne à coups de hache. Leur faire deux trous à la place des yeux, les cribler de balles. Les voir s'écraser contre une vitre, et qui sait, avec un peu de chance, passer à travers et voler un instant avec les putains d'oiseaux. Mais je ravalais cette haine. Je l'empêchai de sortir. Je la conservais dans un coin de mon être, bien au chaud, bien confortablement pour l'y laisser grandir. Chaque jour, elle grossissait un petit peu plus. Un beau jour, la petite boule grossissante allait éclater, c'était indéniable, inévitable ! Et alors elle libèrerait toute l'énergie qu'elle contenait en elle. Je m'en réjouissais d'ailleurs ! Je pourrais enfin me révéler au grand jour... Leur montrer ma nature profonde, le vrai moi, qui ne demandait qu'à sortir et prendre le contrôle. Et ce jour-là... ils verront... ça oui ! Ils verront bien de quel bois je me chauffe !

« Ce jour tant attendu arriva finalement. Je m'en rendais compte ; je n'en avais plus pour longtemps à contenir cette colère. Je partis au travail et je bossai, comme tous les jours depuis voilà bientôt vingt-deux ans. A midi, je m'installai à la cafet du boulot. Là, je pris mon déjeuner ; le même, depuis vingt-deux ans - un sandwich à la mayo avec les pâtes de la veille que ma femme avait préparé. Cette pauvre idiote... Elle ne savait rien faire d'autre que de préparer des pâtes et s'empiffrer de sa dose quotidienne de télé-connerie en ragotant avec les autres bonnes femmes du quartier au téléphone. Et pendant ce temps... moi ! je bossais comme un fou sur des chantiers, dans un bureau, tandis que elle s'empiffrait, se languissait à en perdre la tête. Depuis que je l'ai connu, elle avait pris presque trente kilos. Et en vingt-deux ans, elle n'a jamais posé le pied dans un bureau.

« Je me remis à travailler après avoir finis. Je bossai toute l'après-midi, et rentrai chez moi à dix-huit heures. Ma femme, comme à son habitude, m'attendait sur le pas de la porte tandis que je garais ma bagnole devant notre taudis de banlieue. Elle portait une de ces jupes légères à motifs floraux dont elle raffolait tant. Elle était assise sur un banc, sous le porche, ce foutu combiné à la main. En me voyant arriver, elle commença à faire des mouvements hystériques avec les bras. Et lorsque j'arrivais à son niveau, le regard perdu dans le vague, elle s'avança et m'enlaça. Je sentis son énorme ventre s'aplatir contre moi. Elle était énorme. Comment avais-je pu épouser un monstre pareil ? Elle n'était même pas belle. Mais elle m'aimait. Beaucoup. Passionnément. A la folie ! Tout cet amour qu'elle me portait... Ça me devenait insupportable pour la première fois. Et pour la dernière. Qui était cette grosse dame sur mon porche ? Que faisait-elle chez moi ? Toute cette attention qu'elle me portait me dégoûtait profondément. Elle m'aimait tandis que moi je la détestais. Je la haïssais... du plus profond de mon âme.

Tant que la nuit n'a pas dévoré le mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant