Tant que la nuit n'a pas dévoré le monde

Marche dans l'entre-deux-mondes

Tic, tac, tic, tac...

Ce bruit qui continue de résonner lugubrement dans les ténèbres. L'instant d'avant, mon être tout entier semblait épris des pires douleurs imaginables ; mais à présent, plus rien. Le vide infini, le néant total où je... — où je quoi ? Flottais ? Errais ? Étais-je seulement conscient ? Je ne sais pas, je ne sais plus. La seule chose dont je peux être certain, c'est qu'après cette vague écarlate de douleur, je me suis retrouvé en ce lieu, dans le vide, comme un explorateur de l'espace perdu dans le cosmos, dans l'immensité interstellaire. Impuissant, je me laisse glisser sur cette mer sombre et lisse. Mon âme part à la dérive. J'écoute ce tic-tac d'horloge semblant provenir de partout à la fois ; autour, à l'intérieur de moi. Un son lent et tortueux, égrenant les heures, les minutes, les secondes, en de pénibles et lancinantes pulsations. Comme la montre au poignet du mort, dont le message de fatalité mourrait dans le silence et l'obscurité du cercueil. Je ne peux ouvrir les yeux, pas même remuer le petit doigt. Je ne ressens rien du tout. Auditeur impuissant, j'écoute le message du temps : Carpe Diem. Amen. La vie est très — trop — courte.

Tic, tac, tic, tac...

Alors voilà... ; j'étais comme mort, c'est du moins ce que j'ai pensé tout d'abord, pendant un instant du moins. En grand athée que je suis et en tant que disciple de Descartes, je me suis laissé tomber dans les bras de l'univers. Mais au lieu de sombrer dans le sommeil éternel, de disparaître à jamais dans le cosmos, mon cœur à continuer de battre. Au lieu d'être simplement effacé comme le terme indésirable d'une équation, les pulsations de la pendule se sont poursuivies. Longtemps, je les ai juste écoutés pleuvoir.

Tic, tac, tic, tac...

Ces sons mornes inlassablement répétés s'élevaient dans les airs un court instant avant de se faire happer par les ténèbres. J'étais suspendu à ce tic-tac : plus que tout au monde, je redoutais qu'il ne cesse, car alors ce serait la fin. Obscurité, je serais à mon tour.

Tic, tac, tic, tac...

Puis soudain cela changea. Mes yeux s'ouvrirent, mes pieds nus se posèrent sur un sol rocailleux, et je fus à nouveau. Dans mon état de complète incompréhension, je demeurais béat, essayant de me souvenir, ou de comprendre où j'étais, ce qu'il se passait et qui j'étais. Dès lors, je me rendis compte de trois choses : je ne savais ni quel était cet endroit, ni ce que j'y faisais, et pire que tout, j'avais beau me creuser la tête, je ne me rappelais plus mon nom. Sur mon visage passèrent tour à tour l'inquiétude, le dépit, la surprise, la stupéfaction, la panique et enfin l'incompréhension. Ces six étapes-là de la remise en question passées, je pus observer les contours sombres du monde qui m'entourait. Mon Dieu, mais où suis-je ? Qu'est-ce que c'est que ce...

Tic, tac, tic, tac...

Je suis au milieu d'une grande avenue s'étendant à perte de vue d'un bout à l'autre, assez du moins pour ne pas que j'en aperçoive l'extrémité. La chaussée est envahie de voitures, la plupart semblant avoir été laissées là, à l'abandon. Les portières de certaines sont ouvertes, d'autres véhicules sont montés sur le trottoir, quelques autres sont même carrément renversées sur le côté. On aurait dit qu'il s'était passé là quelque chose de grave et de soudain, que toute trace de vie avait soudainement été disparue.

Entourant l'avenue chaotique, de grands bâtiments s'élèvent en direction d'un ciel noir sans étoile, sans avenir. Certains mesurent quelques mètres tout au plus, tandis que d'autres sont de véritables gratte-ciels. Le plus étrange, c'est l'absence de toute ouverture. Pas la moindre porte ou la moindre fenêtre. Juste de tristes murs de béton gris, partout d'un côté comme de l'autre.

Contrastant avec le ciel noir, tout ici était couvert d'un blanc sale et cendreux, des murs au trottoir jusqu'aux capots des voitures. Ce paysage urbain désertique était éclairé par une pâle clarté donnant à ce lieu une sensation d'irréalité.