XI

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Du temps a coulé comme le dit le topos d'Heraclite.
Younès a été obligé de trouver du travail afin d'aider sa mère dans les finances de la maison. Étant un homme sans diplôme il allait devoir se contenter du métier de bâtisseur, je le regardais parfois lire pendant ses temps de pause quand je passais devant les chantiers. Il lisait un nouveau livre tous les deux jours: Eugénie Grandet le lundi, La Chartreuse de Parme le mercredi, La Bête Humaine le samedi et Bel-ami le mardi, ainsi de suite...
Un soir alors qu'il n'était pas là je rentrais chez moi et c'est alors qu'on m'attrapa par l'épaule, c'était le même abruti qui s'était pris un coup dans la figure.
« Tu te souviens de moi? Loubna c'est ça? »
« Tu devrais t'aviser à me lâcher et tout de suite! »
« Des menaces? Tu m'adore dis donc, mais au juste il est où ton chien de garde »
Il me serrait l'épaule de plus en plus fort.
« Je peux peut être avoir mon baiser maintenant tu ne penses pas? »
Je me mis à crier de toutes mes forces.
« Tu vas la fermer oui! »
Il me gifla.
Je me débattais et je criais mais il n'avait que faire de mon effroi. C'est alors que je le frappais et me mis à courir en direction du chantier.
Il me poursuivait. Je repris mes cris.
Les bâtisseurs sortirent en se demandant d'où venaient ces cris digne d'une scène de crime.
Younès me reconnut. Il sauta de l'échafaudage sur lequel il se trouvait et se rua sur le garçon. Il l'assaillit pendant au moins cinq longues minutes. Les femmes étaient toutes à leurs fenêtres et les hommes du quartier étaient tous dehors essayant pour certains de décoller Younès de sa cible, il semblait incontrôlable on voyait dans ses yeux comme une pulsion sanguinaire. Moi? J'étais par terre vulnérable en train de m'apitoyer sur mon sors. On appela mon père qui vint me chercher en colère, la Casbah pouvait enfin se rendormir.
Arrivés chez nous mon père me fît la leçon:
« Je n'aurais jamais dû te laisser travailler, où avais-je la tête? Que vont dire les gens de moi? Un père qui laisse sa fille dehors, qui occasionne des émeutes. Ces garçons ont failli se tuer pour toi, et d'ailleurs pourquoi celui qui frappait était si en colère? Tu le connais c'est ça? »
Je n'osais ni répondre à ses questions ni me défendre vis à vis de ses accusations.
« Tu sais quoi je me demande si la décision des parents d'Abla n'est pas la solution à mon problème. »
« Que veux-tu dire? Tu n'as pas le droit de me faire ça! »
Il me gifla.
« Monte dans ta chambre! Je m'occuperai de ça demain. »
Je n'ai pas réussi à fermer l'œil de la nuit.
Le lendemain j'entendis dans la rue que mon agresseur était à l'hôpital dans un état critique, je ne ressentais aucune compassion pour lui que Dieu me pardonne, et qu'on avait vu Younès de rendre ce matin sur son lieu avec les doigts bandés. Il comprit que pour l'instant il ne servait à rien de reprendre contact avec moi.
Cependant quelque chose revenait sans cesse dans mon esprit « si personne ne l'avait arrêté il aurait été sincèrement prêt à tuer un homme pour moi? »

Là-bas on continuera d'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant